Sandro Botticelli (Alessandro di Mariano Filipepi), Vierge à l’Enfant, dite Madone au livre, vers 1483. Tempera sur panneau de bois, 58 x 39,5 cm. Museo Poldi Pezzoli, Milan.

Il Rinascimento

La Première Renaissance italienne

C’est à Florence que l’on retrouve les premières traces de la Renaissance. Au XIVe siècle la ville, qui compte déjà cent vingt mille habitants, domine l’Italie centrale. C’est ici que vivent, en partie tout du moins, les artistes les plus illustres de leur temps – Giotto (probablement 1266-1336), Donatello (1386-1466), Masaccio (1401-1428), Michel-Ange (1475-1564), Lorenzo Ghiberti (1378-1455).

À la suite d’un concours remporté en 1420, Brunelleschi est désigné pour construire la coupole emblématique du dôme florentin. Son projet s’inspire de la coupole du Panthéon fondé sous l’empire romain. Il s’en éloigne toutefois en basant la coupole en forme d’ellipse sur un soubassement octogonal (le tambour).

Dans ses autres constructions, il se réfère aux colonnes, charpentes et chapiteaux des maîtres d’œuvre gréco-romains. Dans la construction des églises, la coupole en forme de couronne est en effet, faute de nouvelles idées, le seul élément repris dans la structure centrale de l’édifice en forme de croix grecque ou de la basilique en forme de croix latine. On continue, par contre, à développer les modèles classiques avec les ornementations empruntées aux vestiges de l’Antiquité romaine.

Les maîtres d’œuvre de la Renaissance ont été ici très sensibles à la richesse et à la délicatesse, comme à l’aspect massif et volumineux des édifices romains, auxquels ils ont ajouté une touche de raffinement. Brunelleschi l’a démontré en particulier dans la chapelle des Pazzi du cloître de Santa Croce avec son portique soutenu par des colonnes corinthiennes, comme à l’intérieur de l’église des Médicis de San Lorenzo et de sa sacristie. Aucun autre édifice de ce genre n’a pu ultérieurement égaler ces bâtisses dans l’harmonie existant entre les différents éléments et l’ensemble de la construction.

Le premier probablement à décrire ce désir d’harmonie est Leon Battista Alberti (1404-1472) qui, à l’instar de Brunelleschi, n’a pas été seulement un maître d’œuvre, mais aussi un théoricien de l’art avec ses traités De Pittura (1435) et De Re Aedificatoria (1451). Il compare l’architecture à la musique.

L’harmonie représente à ses yeux l’idéal de la beauté, car pour lui la beauté n’est rien « qu’une certaine harmonie de l’ensemble des parties, telle que toute adjonction, toute suppression ou tout changement ne puisse que nuire à l’ensemble ». Ce précepte de la beauté reste toujours valable de nos jours.

Alberti a développé au Palazzo Rucellai un deuxième type de palais florentins, en offrant à la façade une structure géométrique divisée à tous les étages par des pilastres plats encadrant les fenêtres. Rome compte aussi un architecte tout aussi remarquable que le maître d’œuvre florentin, Luciano da Laurana (1420/1425-1479). Celui-ci a jusqu’alors travaillé à Urbino, où il a construit certaines parties du palais ducal.

Masaccio (Tommaso di Ser Giovanni Cassai), Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, dite Sant’Anna Metterza, vers 1424. Tempera sur panneau, 175 x 103 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

Lorenzo Monaco, Le Couronnement de la Vierge, 1413. Tempera sur toile, 450 x 350 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

Il transmet son goût pour la monumentalité, l’organisation et l’exécution des moindres détails à l’un de ses élèves les plus talentueux, Donato Bramante (1444-1514), peintre et maître d’œuvre qui est devenu le fondateur de l’architecture à l’époque de la Haute Renaissance italienne. Bramante a vécu dès 1472 à Milan où non seulement il édifie la première coupole à caissons postromaine de l’église Santa Maria presso San Satiro, puis l’église Santa Maria della Grazie et certains palais, mais où il travaille aussi comme maître d’œuvre de forteresse, avant de partir pour Pavie, puis pour Rome en 1499. Comme c’est alors la coutume en Lombardie, il érige l’église Santa Maria delle Grazie, bâtisse en brique, dont il fait porter tout le poids sur la structure du soubassement. Les Lombards ont su, dès le début du Moyen Âge, utiliser une ornementation recouvrant toutes les parties de l’édifice.

Ce type de décoration à incrustations, qui fait suite aux mosaïques médiévales, est très rapidement repris par les Vénitiens qui, depuis toujours, ont privilégié l’élément pictural par rapport à l’élément architectonique.

On trouve de remarquables exemples de ces décorations de façade sur les églises San Zaccaria et Santa Maria di Miracoli qui, semblables à des coffrets à bijoux, témoignent de l’amour des riches commerçants vénitiens pour le luxe et l’apparat. Mais le maître d’œuvre vénitien Pietro Lombardo (vers 1435-1515) montre aussi un goût inné pour l’architecture avec l’un des plus beaux palais vénitiens de l’époque, le palais à trois étages Vendramin Calergi.

L’architecte Brunelleschi réussit à imposer un nouveau type de construction moderne. Peu à peu, cependant, apparaît dans certaines sculptures du jeune orfèvre Ghiberti ce sentiment pour la nature, l’un des fondements de la Renaissance, que l’on retrouve à la même époque chez les peintres flamands, les frères Van Eyck, Jan (vers 1390-1441) et Hubert (vers 1370-1426) qui ont commencé le Retable de Gand.

Ce sentiment esthétique des Italiens a continué à se développer durant les vingt années où Ghiberti travaille à la porte de bronze nord du baptistère. Giotto poursuit en peinture ses recherches sur les lois de la perspective centrale découvertes par les mathématiciens – travaux repris plus tard par Alberti et Brunelleschi. Les peintres florentins s’emparent fébrilement des résultats et leur enthousiasme finit par se répercuter aussi sur les sculpteurs. Ghiberti a finalement contribué à parachever les éléments picturaux dans la sculpture ornementale. Il a servi en quelque sorte de contrepoids à un Donatello, certes plus diversifié, qui a dominé durant un siècle la sculpture italienne.

Donatello réussit ce que Brunelleschi avait tenté de faire : donner de la vie au matériau, bois, terre cuite et pierre, et ce indépendamment de la réalité. Ses sculptures reflètent les terribles expériences de ses personnages, détresse, douleur et misère. Il est capable dans ses reproductions de femmes et d’hommes de restituer tout ce qui fait leur personnalité.

Andrea Mantegna, Mars et Vénus, dit Le Parnasse, avant 1497. Tempera sur toile, 159 x 192 cm. Musée du Louvre, Paris.

Mais aucun de ses contemporains n’a pu également rivaliser avec lui dans la décoration de chaires, d’autels et de tombes, comme en témoignent son relief en pierre de L’Annonce à Marie à Santa Croce ou les bas-reliefs en marbre des Cantories, rondes d’enfants exécutées pour le parapet des orgues de la cathédrale de Florence. Sa statue de Saint Georges, la première au sens classique, réalisée en 1416 pour Orsanmichele, est suivie en 1430 par la première représentation plastique de nu, la statue en bronze de David et en 1432 par le Buste de Nicolas Uzzano, le premier buste au monde. Il achève finalement en 1447 la première statue équestre de la Renaissance avec son condottiere en bronze exécuté pour Padoue, l’Erasmo da Narni, dit le Gattamelata (vers 1370-1443).

Seul un homme, le sculpteur Luca della Robbia (1400-1482), parvient à acquérir la valeur et la notoriété de Donatello, en exécutant non seulement la Cantoria de la cathédrale de Florence (1431/1438), mais aussi les reliefs de bronze (1464/1469) dans la sacristie nord de la cathédrale. Mais son talent se manifeste en particulier dans les terres cuites peintes puis vernissées. Ces ouvrages, qui sont des reliefs circulaires ou semi-circulaires, ne sont conçus à l’origine que pour décorer des espaces architectoniques.

Le travail réalisé dans la lunette de la Via d’Agnolo avec la Vierge et l’Enfant entourés d’anges et encadrés d’une guirlande de fleurs et de fruits est un magnifique exemple de ses créations. Alors que Donatello excelle dans ses portraits d’hommes, le talent de Robbia lui se manifeste dans ses gracieuses représentations d’enfants et de femmes. On ne connaîtra rien de plus beau dans la sculpture italienne du XVe siècle.

Les exigences plastiques liées à ces ouvrages se sont également renforcées avec le développement en Italie des techniques de fabrication des terres cuites vernissées. Cette technique qui laisse à l’artiste toute liberté de forme a servi finalement à ériger non seulement des autels et des statues individuelles, mais aussi des groupes importants de statues.

Luca della Robbia transmet son talent et son savoir-faire à son neveu Andrea della Robbia (1435-1525). Celui-ci de son côté développe avec ses fils Giovanni (1469 à 1529) et Girolamo (1488-1566) la technique de la terre cuite vernissée et crée avec eux, dans les années 1463 à 1466, les célèbres médaillons des Enfants au maillot, qui décorent à Florence la salle de l’Hospice des enfants trouvés.

On peut admirer aujourd’hui encore la production de l’atelier della Robbia dans un grand nombre de villes du Nord de l’Italie, ce qui montre que les terres cuites correspondent au goût aussi bien italien en général qu’européen et qu’elles attirent de plus en plus d’amateurs. Par ailleurs, il ne faut pas oublier ici qu’aucun siècle n’a été aussi propice à la sculpture que le XVe siècle. L’art de Donatello a connu ainsi un magnifique essor.

Ses deux élèves les plus prestigieux, le sculpteur Desiderio da Settignano (vers 1428-1464) et le peintre, sculpteur, orfèvre et bronzier Andrea del Verrocchio (1435/1436-1488) ont continué sur ses traces. Ce dernier n’a pas seulement exécuté une série de peintures d’autel, mais il est devenu le plus grand sculpteur de Florence en coulant par exemple le bronze de David (vers 1475) et le monument équestre (1479) du condotierre Bartolomeo Colleoni (1400-1475). Le style de Verrocchio a préparé la transition à la haute Renaissance.

Domenico Veneziano, Vierge à l’Enfant avec saints, 1445. Tempera sur bois, 209 x 216 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

Fra Angelico (Fra Giovanni da Fiesole), L’Annonciation, 1450. Fresque, 230 x 321 cm. Couvent San Marco, Florence.

Settignano a laissé nettement moins d’œuvres que Verrocchio et s’est consacré surtout aux reliefs de madones en marbre, aux sculptures d’enfants et aux bustes de jeunes filles. Il a transmis son savoir-faire à ses disciples les plus doués, comme Antonio Rosselino (1427–1479), qui s’est surtout distingué avec le tombeau du cardinal du Portugal à San Miniato al Monte à Florence.

Rosselino a compté parmi ses disciples Benedetto da Maiano, mais surtout Mino da Fiesole (1429-1484) qui, tailleur de pierres à l’origine, est devenu l’un des meilleurs techniciens du marbre de son temps et a exécuté des monuments funéraires sous forme de mausolées monumentaux. L’art de Fiesole a surtout consisté à copier la nature, ce qui l’a maintenu dans un cadre trop étroit pour diversifier son importante production.

La deuxième moitié du XVe siècle représente une phase transitoire où l’on est peu à peu passé de l’artisanat et du travail traditionnel du marbre à la technique plus rigoureuse du coulage de bronze. Les deux statues de David en sont un exemple. Celle de Donatello montre un David légèrement pensif, contrairement à celle de Verrocchio, qui, exécutée dans le goût du naturalisme, représente un jeune homme satisfait et confiant, souriant de sa victoire avec à ses pieds la tête tranchée de Goliath. Ce sourire imité aussi souvent que vainement par les tailleurs de pierre est devenu le label demarque de l’école de Verrocchio.

Un seul homme a vraiment réussi à reproduire ce sourire fabuleux dans certains de ses ouvrages : Léonard de Vinci, un disciple justement de Verrocchio. Celui-ci a dû partager sa gloire avec De Vinci, qui n’a laissé que quelques peintures, comme la Madone (1470/1475), Tobias et l’ange (1470/1475) et également Le Baptême du Christ peint à la tempera. Sur ce dernier tableau, Léonard de Vinci aurait peint au premier plan un ange accroupi, comme l’a affirmé le peintre, maître d’œuvre et écrivain artistique, Giorgio Vasari (1511-1574). Il est possible qu’il ait retouché un peu plus tard le tableau avec de la peinture à l’huile, après le départ de Verrocchio pour Venise.

En dehors de la statue du jeune David, les œuvres de Saint Thomas l’Incrédule, groupe de deux personnages avec le Christ dans une niche de Orsanmichele et la Statue équestre de Bartolomeo Colleoni, restée inachevée du vivant de l’artiste, font partie des sculptures majeures de Verrocchio.

À Rome, le peintre et orfèvre Antonio del Pollaiuolo (vers 1432-1498) travaille dans un atelier où il réalise les premières statuettes. Son dessin à la plume, vraisemblablement une ébauche pour un relief, Hommes nus au combat (vers 1470/1475) et la gravure sur cuivre Combat d’Hommes nus (vers 1470) ont ouvert de nouvelles perspectives dans la représentation du nu. Mais ses pièces majeures sont les tombeaux en bronze des papes Sixte V (1521-1590) et Innocent VIII (1432-1492) à la basilique Saint-Pierre.

École de Piero della Francesca (Laurana ou Guiliano da Sangallo ?), La Cité idéale, vers 1460. Huile sur panneau de bois, 60 x 200 cm. Galleria Nazionale delle Marche, Urbino.

À Florence, la peinture se développe parallèlement à la sculpture pour atteindre une richesse éclatante et somptueuse. Les représentants de ces deux mouvements se sont affichés comme des adversaires irréductibles, chacun fermement planté sur ses positions. C’est finalement au milieu du XVe siècle que s’accomplit une certaine fusion, mais le monumental restera toujours un principe fondamental de l’art florentin qui s’exprime alors dans la gigantesque fresque exécutée par Masaccio et le moine dominicain Fra Giovanni da Fiesole (1395-1455), surnommé Fra Angelico.

Ce dernier, qui commence par travailler à Florence puis à Rome, conjugue influences gothiques et naturalisme dans des œuvres exclusivement religieuses, empreintes d’une pureté radieuse. Son talent pictural s’enracine dans une piété que l’on retrouve dans ses nombreuses représentations de la Vierge et des anges. Son don de coloriste s’exprime tant dans les innombrables fresques particulièrement bien conservées que dans des peintures sur bois.

Les plus importantes fresques (vers 1436/1446) se trouvent dans la salle du chapitre, le cloître et certaines cellules de l’ancien couvent des dominicains de San Marco où Le Couronnement de la Vierge est considéré, de l’avis de nombreux experts, comme une fresque des plus remarquables. Ce sujet est récurrent dans l’œuvre de Fra Angelico.

L’un de ses successeurs les plus illustres a été le Florentin Fra Filippo Lippi (vers 1406-1469), qui a vécu environ cinq décennies au couvent des Carmes. Ordonné prêtre en 1434 à Padoue, il choisit finalement de quitter les ordres. Il s’inspire de la pensée et du concept esthétique de Masaccio en adoptant son modelé aux lignes douces et ses couleurs lumineuses. Il accorde une place importante à l’élément féminin, non seulement dans sa vie, mais aussi dans ses fresques et ses peintures sur bois. Il prend pour modèles des jeunes filles de son entourage pour ses représentations d’anges et montre une sensibilité pour la mode de cette époque.

Dans ses fresques, il atteint une taille monumentale et les plus belles réalisations qu’il a laissées sont les peintures sur bois. Comme chez Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge (1441/1447) a été pour lui un thème important, bien que contrairement à son prédécesseur, le couronnement en lui-même ait été repoussé à l’arrière-plan et qu’il se soit plus attaché à mettre en valeur les personnages agenouillés au premier plan, religieux, femmes et enfants.

Le goût prononcé pour le portrait et donc pour l’individualisation se traduit surtout dans ses madones empreintes d’un profond sentiment religieux, comme par exemple dans son tableau la Madone et deux anges (deuxième tiers du XVe siècle). Dans le tableau en forme de médaillon, Marie et l’Enfant (vers 1452), il a, par contre, offert à la Vierge assise un arrière-plan vivant, en représentant la pièce où a accouché sainte Anne. Cette pièce a plus tard certainement servi de modèle à d’autres artistes.

Giovanni Bellini (Giambellino), Retable de saint Zacharie, 1505. Huile et tempera sur bois, transféré sur toile, 402 x 273 cm. Église San Zaccaria, Venise.

Fra Filippo Lippi, La Vierge à l’Enfant au trône avec saint Jean-Baptiste, Victor, Bernard et Zénobe (retable de l’Otto di Pratica), 1486. Tempera sur panneau, 355 x 255 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

Le disciple le plus important de Fra Filippo Lippi a été indéniablement Sandro Botticelli (1445-1510). Sandro, qui avait insisté avec obstination pour devenir peintre – son Adoration des Rois Mages contient à droite son autoportrait – a fini par entrer dans l’atelier de Fra Filippo Lippi. Il se rapproche plus tard du cercle des humanistes et du prince Laurent de Médicis (dit Le Magnifique ; 1449-1492). Botticelli a été l’un des premiers à s’intéresser aux motifs de la mythologie antique, comme en témoigne son illustre tableau La Naissance de Vénus, et il aime insérer en toile de fond des édifices antiques. Il a surtout produit des œuvres allégoriques et religieuses et a participé durant son activité à Rome entre 1481 et 1483 à la réalisation des fresques de la chapelle Sixtine.

Un autre de ses tableaux, Le Printemps, reflète la vie festive et joyeuse de Florence. Bon nombre de ses travaux contiennent une profusion prodigieuse de fleurs et de fruits dans laquelle il introduit aussi bien des jeunes filles et femmes élancées, drapées dans des vêtements fluides et ondoyants que des madones entourées de saints austères.

Certaines de ses madones ont été influencées par le moine dominicain et prédicateur, Girolamo Savonarole (1452-1498), qui, même après sa mort, a continué de marquer Botticelli, l’un de ses fervents partisans. Il a également repris, à la nouvelle demande de Laurent de Médicis, L’Adoration des Rois Mages et dans ce tableau figurent non seulement les membres de cette famille, mais aussi le cercle d’amis intimes ainsi que ses partisans.

Ses portraits individuels comme le Portrait d’un jeune homme au béret rouge (vers 1474), celui de Julien de Médicis (vers 1478) ou le Portrait d’une jeune femme (vers 1480/1485) expriment son merveilleux talent de portraitiste. De son époque à Rome date également l’un de ses tableaux les plus énigmatiques, L’Abandonnée (1495), représentant une femme en pleurs ou désespérée sur des marches, devant la porte fermée d’une muraille de fortification. Botticelli, tombé injustement dans l’oubli pendant longtemps, compte aujourd’hui parmi les plus grands maîtres de la Renaissance.

L’un de ses disciples les plus influents a certainement été Filippino Lippi (vers 1457-1504), le fils de Fra Filippo Lippi. Fortement influencé au début par Botticelli, il s’en détache pour réaliser plus tard quelques œuvres majeures, dont une Adoration des Rois commandée par les Médicis, un cycle de fresques avec des Scènes de la vie de saint Pierre (1481/1482), achevant ainsi la peinture de la chapelle Brancacci interrompue depuis la mort de Masaccio, un Couronnement de Marie et une Madone.

Paolo Uccello (Paolo di Dono), Niccolò Mauruzi da Tolentino à la bataille de San Romano, probablement vers 1438-1440. Tempera à l’œuf, huile de noix et de lin sur bois de peuplier, 182 x 320 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

Malgré ces prestations indéniables, sa réputation et sa notoriété n’ont pas égalé celles de son contemporain, Domenico Ghirlandaio (1449-1494). Comme Botticelli, Ghirlandaio achève d’abord sa formation d’orfèvre et connaît déjà avec ses œuvres un succès notoire avant de se consacrer pleinement à la peinture. Il réalise ainsi dans les années 1480 et 1481 dans la chapelle Sixtine et de 1482/1483 à 1485 dans la Santa Trinità de Florence des fresques, dont la remarquable Cène dans l’église Ognissanti peut être considérée comme le précurseur de celle de Léonard de Vinci.

Ghirlandaio reproduit son environnement dans ses œuvres et n’hésite pas à concevoir les histoires bibliques comme des scènes de la prospérité florentine afin d’en donner au spectateur une vision plus profonde. Ceci est particulièrement évident dans les fresques qu’il a peintes dans le chœur de Santa Maria Novella (1490).

Le maître absolu de la peinture italienne en dehors des murs de Florence, Piero della Francesca (1416-1492), est à classer comme le peintre le plus génial de la première Renaissance. Il se distingue en particulier par de remarquables approches anatomiques et des études de perspective. Piero della Francesca crée un style qui allie le monumental à la beauté transparente de la couleur et de la lumière. Il exerce ainsi une influence sur toute la peinture du Quattrocento du nord et du centre du pays. Ses principales œuvres sont le cycle de fresques avec La Légende de la Sainte Croix dans le chœur de San Francesco à Arezzo (1451/1466) et un Baptême du Christ (1448/1450).

L’un des plus éminents disciples de Piero della Francesca a été Luca Signorelli (1440/1450-1523). Ses nus en mouvement et au modelé affirmé, ainsi que son recours aux motifs antiques, ont contribué à en faire un modèle de Michel-Ange. Une représentation mythologique riche en figures, commandée vraisemblablement par Laurent de Médicis, montre le niveau de maîtrise que le jeune homme avait déjà atteint dans la reproduction du corps humain. Michel-Ange rend hommage à Signorelli, en reprenant telle quelle, la femme chevauchant le dos du diable dans l’une de ses œuvres.

Dans d’autres villages et villes plus ou moins importantes du Sud de la Toscane et de l’Ombrie, on trouve encore des fresques et des tableaux d’autel de Signorelli. Le relativement bon état de la couleur laisse penser qu’il a utilisé la nouvelle technique à base de peinture à l’huile venue des Flandres. Signorelli a également travaillé quelques années à Rome où en 1481/1482 il exécute la fresque narrant la vie et la mort de Moïse. À Venise Jacopo Bellini, le père du célèbre Gentile Bellini, devient son élève. Parmi les chefs-d’œuvre de Jacopo, il faut compter l’autel avec L’Adoration des Rois Mages (1423), ainsi que des fresques dont seule une Madone (1425) a été conservée dans la cathédrale d’Orvieto.

Un autre peintre ombrien, Pérugin (vers 1448-1524), a été l’un des grands maîtres du style ombrien et pour cette raison fort respecté par ses contemporains, mais il a été surtout le maître de Raphaël sur lequel il a exercé une influence décisive dans la première partie de son développement. Le Pérugin s’est rapproché plus tard de l’entourage florentin de Verrocchio. Il a repris, au début seulement et avec beaucoup d’hésitation, la vision de la nature qui est alors en vogue et préfère rester fidèle à son style aux lignes plus douces, car ses contemporains continuent de réclamer des tableaux religieux empreints de sentiments que lui seul apparemment est capable de peindre avec une si belle fusion de couleurs. Ses tableaux Saint Sébastien et La Vierge, l’Enfant Jésus et saint Jean en sont un exemple.

Piero di Cosimo, Portrait de femme dit de Simonetta Vespucci, vers 1490. Détrempe sur bois, 57 x 42 cm. Musée Condé, Chantilly.

Domenico Ghirlandaio, Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon, vers 1480. Tempera sur bois de peuplier, 62,7 x 46,3 cm. Musée du Louvre, Paris.

L’inconvénient de la popularité de sa peinture est qu’elle a suscité une production de masse où même l’expression du ravissement divin le plus extrême se fige en un stéréotype. Sa série de fresques peinte à partir de 1480 dans la chapelle Sixtine avec, entre autres, La Remise des clefs à saint Pierre, L’Adoration de l’Enfant (1491) ou La Vision de saint Bernard (vers 1493), peinte probablement pour l’église cistercienne del Castello à Florence appartiennent aux plus grands chefs-d’œuvre de la peinture religieuse.

Mais dans ces représentations antiques, son élève, Bernardino Pinturicchio (1454-1513), le surpasse de loin. Dans les années 1481 à 1483, celui-ci travaille avec Pérugin aux fresques de la chapelle Sixtine sur des thèmes de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais il réalise aussi dans la salle de la Vie des Saints au Vatican des fresques avec une minutie qui rappelle dans leur exécution la peinture miniaturiste.

Ces travaux, tout comme son goût affirmé pour la décoration homogène d’une grande pièce, rencontrent l’approbation et la bienveillance de ses commanditaires. Grâce à ce talent, il devient le maître fondateur de la décoration sous la Renaissance.

En plus de l’école ombrienne, les écoles de Padoue, de Bologne et de Venise ont également joué un rôle important dans la deuxième moitié du XVe siècle.

Issu de ces écoles, Andrea Mantegna (1431-1506) fait certainement partie des artistes les plus doués. Il s’impose dans la représentation de personnages importants qu’il emprunte essentiellement à l’Antiquité. Cet enthousiasme pour l’art antique qu’il cherche à égaler, imprégne toute la vie de Mantegna. Dès 1460, il travaille à Mantoue pour le margrave Ludovico Gonzague et, dans les années 1473 et 1474, décore son Castello di Corte en habillant la chambre des époux de tentures et de peintures au plafond.

Avec ces travaux, et surtout avec la fresque de la voûte, il excelle dans la réduction de la perspective et dépasse largement ses condisciples de Florence dans la force et la grandeur des portraits. La série de tableaux destinés à décorer l’une des salles du palais margrave témoigne de son goût pour l’Antiquité classique. À plus d’une reprise, Mantegna montre aussi une certaine sympathie pour les « Underdogs ». Cette attitude se reflète dans des tableaux religieux où les classes inférieures sont représentées avec dignité et dans la peinture des prisonniers du Triomphe de César (1488/1492).

Sandro Botticelli (Alessandro di Mariano Filipepi), L’Adoration des Rois Mages, vers 1470-1475. Tempera sur peuplier, diamètre : 130,8 cm. National Gallery, Londres.

Sandro Botticelli (Alessandro di Mariano Filipepi), Madone du Magnificat, 1483-1485. Détrempe sur bois, diamètre : 118 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

Son art est toujours centré sur ce qui est grand et grave et ses formes sévères sont rarement adoucies par une grâce complaisante. Citons pour exemple le tableau de la Vierge de la Victoire avec saint Jean (1496), représentant la bénédiction du duc Francesco Gonzague agenouillé, ainsi que celui du Parnasse avec Mars et Vénus trônant sur un rocher avec devant les muses qui dansent et Apollon jouant de la lyre. Le retour de Mantegna aux thèmes antiques est si convaincant qu’il a suscité la fascination de Raphaël.

Alors qu’il faut plus considérer Gentile Bellini comme un historien de l’art, Giovanni continue, lui, dans le sillage artistique de son père et de son beau-frère Mantegna. Le sujet favori de Giovanni est sans nul doute la Madone, représentée seule, avec l’Enfant Jésus ou en Madone sur le trône, entourée des Saints. Ses figures, qu’elles soient jeunes ou âgées, masculines ou féminines, deviennent sous son pinceau des modèles de beauté inégalable dans leur représentation exaltée. Le coloris de la composition évoque toujours une harmonie musicale et cet élément vital et indispensable pour les Vénitiens est immanquablement présent dans tous les tableaux d’autel de Bellini.

À l’opposé, beaucoup de tableaux religieux de Florentins et de Padouans datant de cette époque dégagent une impression grave et sévère, ceux des Ombriens une impression larmoyante et profondément songeuse. Toutes ces œuvres ont bien moins invité à la prière que celles justement des Vénitiens.

Mais les coloris gais de Bellini de la première Renaissance marquent déjà l’amorce de cette étape transitoire à la Haute Renaissance, menée plus tard par ses disciples, et ses tableaux mythologiques annoncent déjà une réelle ouverture sur la Haute Renaissance.

La Haute Renaissance italienne

En Italie l’art a atteint son apogée avec les trois maîtres inégalables que sont Léonard de Vinci (1452-1519), Michel-Ange (1475-1564) et Raphaël (1483-1520), lesquels ont transmis à la postérité un trésor inestimable. Si Florence en a été, il est vrai, plus le point de départ, elle n’a pas été pour autant la seule ville où s’est manifesté ce mouvement. Léonard de Vinci s’est installé à Milan, Michel-Ange et Raphaël sont partis travailler à Rome.

Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant jouant avec un agneau, dite La Sainte Anne premier quart du XVIe siècle. Huile sur bois de peuplier, 168 x 130 cm. Musée du Louvre, Paris.

Léonard de Vinci, Saint Jean-Baptiste, 1513-1516. Huile sur bois, 69 x 57 cm. Musée du Louvre, Paris.

Léonard de Vinci

Léonard commence son apprentissage vers 1469 dans l’atelier d’Andrea del Verrocchio et fait partie en 1472 de la guilde des artistes peintres de Florence. On peut reconnaître la rapidité avec laquelle il égale tout du moins son maître à l’ange et aux éléments du paysage qu’il peint dans Le Baptême du Christ.

Déjà, à cette époque, sa vision de la nature se distingue par la taille des formes et les caractéristiques de ses travaux qui seront considérées comme le summum de l’art florentin. Mais le seul grand tableau qui lui est confié à la fin de son apprentissage, L’Adoration des Mages, destiné à un monastère, restera inachevé. Avec ce tableau il a voulu à vrai dire surpasser tous les artistes florentins de renom. Mais, malgré un grand nombre d’études préliminaires, son projet ne dépassera pas la première sous-couche.

Même si chez lui prédomine son goût pour la peinture, la sculpture et les arts plastiques, il est aussi un théoricien de l’art et a laissé derrière lui un testament important en tant qu’inventeur et chercheur, architecte, maître d’œuvre de forteresse et constructeur de machines de guerre. Le talent de Léonard n’a pas été en fin de compte à la hauteur de cette universalité, si bien qu’il a compromis plus tard l’achèvement d’une de ses œuvres préparées de longue haleine.

Il quitte alors rapidement la ville, devenue trop petite pour lui, pour suivre, à la demande du mécène, la cour de Ludovico Sforza (1452-1508) à Milan. Son plus grand chef-d’œuvre, La Cène nécessite dès le XVIe siècle une première restauration, car il fait l’objet d’une importante dégradation due d’une part à son goût pour l’expérimentation, d’autre part aux conditions météorologiques et aux destructions volontaires. Les gestes de ses apôtres alignés comme sur une scène et dans un mouvement ondulant correspondent à son exigence de traduire par le mouvement « les intentions de l’âme ».

La fin du règne de Ludovico Sforza est une catastrophe pour Léonard. Il s’échappe à temps et passe les années 1499 à 1506 en alternance à Florence, Venise et dans d’autres villes de la Romagne. Il travaille durant trois ans à l’un de ses plus sublimes chefs-d’œuvre, le portrait d’une noble Florentine (Madone), Monna Lisa, la femme de Francesco del Giocondo et quand on finit par l’en arracher, il déclare ne l’avoir toujours pas terminé. Ici l’atmosphère enveloppe toutes les formes, leur retire toute dureté et dissout le modelé précis du personnage en un doux fondu de tous les contrastes de couleurs et de formes. Ici s’accomplit ce grand bouleversement qui oriente la peinture sur de nouvelles voies.

Léonard repart pour Milan en 1506, où il séjourne pendant dix années, entrecoupées de quelques brèves interruptions. Il consacre cette période à ses élèves, mais surtout aussi à ses recherches et études scientifiques, ainsi qu’à leur rédaction. Il est difficile d’imaginer le nombre de sujets, rien que sur le plan technique, dont s’est occupé Léonard.

Parmi ses dessins – le Codex Atlanticus en contient à lui seul 1119 – on trouve des idées pour une machine à fabriquer un cordage ou des flotteurs pour aller sur l’eau, un projet de pont rapide à construire, celui d’un canon sur un affût, d’un parachute, d’une voiture à tracter en état de fonctionnement, comme ont pu le constater des experts, et un nombre incroyable d’autres objets. Un autre codex, le Codex Forster en trois parties, contient dans ses quelque mille feuilles des dessins de machines hydrauliques, des théories sur les proportions et la mécanique, des notices sur l’architecture et l’urbanisme.

Un troisième codex, le Codex Arundel, renferme dans plus de deux cent quatre-vingt croquis, des études de tanks et projectiles. Il y a aussi un ouvrage sur le corps humain, un autre sur le vol des oiseaux et dans les cent quarante pages du Codex Madrid Léonard traite des sujets comme la peinture, l’architecture, les cartes topographiques, ou les problèmes de géométrie et de mathématiques et autres. Il se trouve que ses sept cent quatre-vingt croquis sur l’anatomie ont aidé en 2005 un cardiologue britannique à modifier sa technique opératoire grâce aux notices en question. Cette énumération est loin d’être exhaustive et ne peut donner qu’une idée approximative de l’incroyable diversité des intérêts et des travaux de Léonard de Vinci.

Durant ces années à Milan, le seul tableau achevé est celui du jeune Saint Jean-Baptiste. Dans ses études sur les visages d’hommes et de femmes, il a rendu hommage au sourire et souvent aussi à la beauté de la femme tout du moins, captant toutes les nuances allant de la grâce et du charme à la noblesse et à l’arrogance. Dans les visages d’hommes, il a plus souligné par contre certains traits de caractère qu’il a même à l’occasion exagérés de façon caricaturale. De telles caricatures aux visages quasiment tordus par des grimaces ont obtenu un succès inhabituel et ont même fait leur apparition sous forme d’estampes. Léonard s’est-il peut-être lassé de son pays malgré ses succès, a-t-il peut-être seulement voulu échapper aux confrontations avec le jeune Michel-Ange – toujours est-il qu’il accepte l’invitation du roi François Ier, début 1516, et part s’installer au château de Cloux près d’Amboise. Il y passe ses dernières années, non plus comme créateur, mais comme conseiller artistique. Il s’éteint le 2 mai 1519.

Fra Bartolomeo, Portrait de Girolamo Savonarola, vers 1498. Huile sur panneau, 47 x 31 cm. Museo di San Marco, Florence.

Antonello da Messina, Portrait d’homme, dit Le Condottiere, 1475. Huile sur bois, 36,2 x 30 cm. Musée du Louvre, Paris.

Michel-Ange (Michelangelo Buonarroti)

Michel-Ange est l’autre grande figure de la Renaissance italienne, l’égal absolu de Léonard de Vinci dans l’universalité de son talent artistique. Même s’il ne peut se mesurer à lui en particulier sur le plan des sciences naturelles, il le dépasse largement en tant que poète et philosophe. La vie de Michel-Ange contient aussi des complications tragiques qui ont laissé des traces dans son œuvre.

Si Léonard, né pour la peinture, ambitionne de réaliser de grandes œuvres plastiques, Michel-Ange, le plus grand sculpteur depuis Phidias, est convaincu quant à lui, qu’il est capable de faire de grandes choses comme peintre et architecte. En tant qu’architecte et maître d’œuvre, il réalise sa plus grande œuvre avec la coupole du dôme de Saint-Pierre ; en tant que peintre, il laisse des travaux qui méritent encore aujourd’hui notre plus grande admiration si l’on considère que ses humeurs, son autorité et son tempérament impétueux ont parfois mis à mal ses ébauches les plus téméraires.

Sa vie est tout aussi instable que celle de Léonard, car dès 1494 il se rend à Bologne après avoir livré les premières échantillons de son talent artistique avec le haut-relief du Combat des Centaures et une Madone devant un escalier. Il y exécute un ange à genoux en train de porter un candélabre et pour l’église San Domenico une statuette de saint Petronius. Mais dès 1496 il repart pour Rome via Florence. Il réalise pour un commerçant la statue grandeur nature de Bacchus (1496/1498) qui, légèrement grisé par le vin, lève sa coupe de la main droite, alors que la main gauche s’empare du raisin que lui tend un petit satyre debout derrière lui.

Dans sa deuxième grande œuvre de Rome, la Pietà (1499/1500) de la basilique Saint-Pierre, toute influence antique a disparu, qu’il s’agisse du corps du Christ, de l’expression du visage ou de l’attitude de la mère de Dieu maîtrisant sa douleur. Michel-Ange repart en 1501 pour Florence, pour commencer alors sa première grande tâche. Les directeurs de la basilique ayant préparé un bloc de marbre pour la réalisation d’une grande statue, Michel-Ange décide de sculpter le jeune David (1501/1504), le représentant la fronde par-delà l’épaule gauche et la pierre déjà prête dans la main droite. Son premier tableau important, le tondo de La Sainte Famille (1501), traduit sa ferme résolution de rompre avec la composition traditionnelle et la représentation habituelle des figures, ainsi que la nécessité de montrer par ailleurs la façon d’introduire du mouvement dans un tableau de petit format.

Le pape Jules II (1443-1513) appelle en 1505 Michel-Ange à Rome, où il lui confie le soin de réaliser son tombeau. Mais une autre commande de Jules II n’a pas été encore terminée de son vivant : il s’agit de la peinture du plafond (1508/1512) de la chapelle Sixtine avec une série de tableaux représentant la création du monde et de l’Homme, ainsi que la Chute originelle et ses conséquences, sous forme d’une composition et d’un agencement austère enserré par une bordure architectonique peinte. La Chute originelle est suivie – après les innombrables adversités rencontrées par le peuple d’Israël – par sa délivrance et son Rédempteur est sorti de ses propres rangs.

C’est à cela que préparent les puissantes figures des prophètes et les sibylles, qui entourent de toutes parts la voûte du plafond et l’espace qui la sépare de ses pendentifs. Ces tableaux ne sont peut-être accessibles que si on les compartimente et que l’on considère chaque partie comme un tableau en soi. On y découvre alors la plénitude de la beauté qui trouve sa plus belle expression dans La Création d’Ève (vers 1508). Les peintures au plafond s’achèvent par Le Jugement dernier. Ce tableau est sûrement la plus grande œuvre de la Haute Renaissance italienne, qui annonce déjà avec la surcharge de figures et le tracé de leurs mouvements, ces exagérations qui se sont développées à la fin de la Renaissance et à l’époque du baroque.

Michel-Ange (Michelangelo Buonarroti), Le Jugement dernier, 1536-1541. Fresque, 12,2 x 13,7 cm. Chapelle Sixtine, Vatican.

Léonard de Vinci, La Dame à l’hermine, vers 1490. Huile et tempera sur panneau de noyer, 53,4 x 39,3 cm. Muzeum Czartoryskich, Cracovie.

Léonard de Vinci, La Cène, 1495-1498. Huile et tempera sur pierre, 460 x 880 cm. Église Santa Maria delle Grazie, Milan.

Dans toutes ces figures, Michel-Ange a montré clairement une chose : sa volonté inflexible de révéler sa parfaite maîtrise de l’anatomie du corps humain d’une façon à laquelle aucun artiste, avant comme après, n’a pu trouver à redire. Dans le mépris des hommes qui est devenu à la fin de sa vie une deuxième nature, il a voulu forcer l’admiration de tout son entourage, amis comme ennemis. C’est pourquoi dans les travaux de Michel-Ange il ne faut jamais séparer l’homme de son Œuvre, et lui-même est ainsi devenu « la mesure de toutes choses » artistiques.

Parmi ses œuvres, on trouve les tombeaux en marbre des Médicis dans la chapelle florentine de l’église San Lorenzo. Conçu à l’origine comme un tombeau de toute la génération des Médicis, ce grand plan de Michel-Ange qui a réalisé aussi la forme architectonique de la chapelle (1519/1534) n’a été que partiellement exécuté, au prix de beaucoup de travail maintes fois interrompu.

Seuls les deux monuments du duc Giuliano et du duc Lorenzino, assassiné en 1547, ont été achevés par Michel-Ange et ont pu donc figurer en 1563 dans la chapelle funéraire carrée.

La chance n’a pas aussi particulièrement souri au maître d’œuvre Michel-Ange, bien qu’il ait été confronté à la plus grande tâche à accomplir dans la Rome de l’époque : la construction de la basilique Saint-Pierre. Le pape Jules II a fait démolir l’ancienne basilique pour ériger à sa place une bâtisse imposante.

Donato Bramante, chargé de son dessin et de son exécution, dessine alors un plan en forme de croix grecque et une formidable coupole surmontant la croisée du transept. À sa mort (1514), seuls les quatre piliers de la coupole avec leurs arcs de jonction sont terminés.

Michel-Ange a vécu jusqu’à un âge avancé. Il meurt à Rome le 18 février 1564, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Les Florentins réclament alors sa dépouille et l’enterrent au Panthéon de leurs grands hommes, à l’église Santa Croce.

Comme Léonard, Michel-Ange s’est entouré de nombreux élèves à qui il transmet son savoir-faire.

Parmi les sculpteurs qui échappent à l’influence de Michel-Ange, on compte principalement Andrea Sansovino (vers 1460-1529) et Benvenuto Cellini. Le premier a été, il est vrai, formé par Antonio del Pollaiuolo à Florence, puis travaille au Portugal, à Rome et comme maître d’œuvre d’églises à Loreto où il s’occupe de 1514 à 1527 de la décoration de la Casa Santa.

Parmi ses œuvres, on compte le groupe en marbre qui surmonte le portail principal du baptistère de Florence, Le Baptême du Christ, le groupe de La Vierge et l’Enfant avec sainte Anne à San Agostino de Rome et les deux tombeaux des cardinaux Basso et Sforza Visconti à Santa Maria del Popolo.

L’orfèvre Benvenuto Cellini (1500-1571) a travaillé pour les papes à Rome, pour les Médicis à Florence et pour le roi de France, François Ier, pour lequel il crée la célèbre saliera, une salière peu pratique (1540/1543). Mais Cellini a été aussi un extraordinaire sculpteur comme en témoigne une autre œuvre, la figure en bronze du Persée (1545/1554) qui se trouve dans la Loggia dei Lanzi et qui soulève la tête tranchée de la Méduse.

Antonello da Messina, L’Annonciation, 1474-1477 (?). Huile sur panneau, 45 x 35 cm. Palazzo Abatellis, Palerme.

Raphaël (Raffaello Sanzio), Portrait d’une jeune femme, dit La Dame à la licorne, 1506. Huile sur panneau de bois, transféré sur toile, 65 x 51 cm. Palazzo Pitti, Florence.

Raphaël

Le troisième dans la série des grands maîtres de la Haute Renaissance, Raffaello Sanzio (1483-1520), fils d’un peintre ombrien, est un artiste doté d’un talent universel. À Rome, il gagne les faveurs du pape Léon x (1475-1521), ce qui lui vaut la plus haute considération. Il travaille non seulement comme peintre, mais aussi comme architecte et sculpteur et, comme Michel-Ange, compose même quelques sonnets.

Comme architecte, Raphaël élabore les plans de certains palais et villas, comme ceux du Palazzo Pandolfini à Florence, de la Villa Madama à Rome ou de la Villa Farnesina, dont la construction est toutefois confiée à d’autres maîtres d’œuvre. Comme architecte de la basilique Saint-Pierre, Raphaël a même présenté un projet. Concernant également les œuvres plastiques qui lui sont attribuées, il n’est parvenu qu’à des esquisses en terre cuite, l’exécution étant ensuite confiée à des sculpteurs de marbre.

Parmi ses premières œuvres on compte essentiellement des représentations de madones. Les aléas politiques à Florence évoqués précédemment ont contraint également Raphaël, à l’exemple de ses prédécesseurs, Léonard de Vinci, Michel-Ange et bien d’autres artistes florentins, à quitter la ville par manque de commandes.

Il commence par la première chambre papale, celle dans laquelle le pape tient ses audiences ministérielles et où siége le plus haut tribunal du Saint-Siège, la Segnatura Gratiae et Iustitiae. C’est ici que l’on trouve les fresques murales, La Dispute (1509/1510), représentant l’assemblée des Pères de l’Église discutant des vérités surnaturelles, L’École d’Athènes représentant l’assemblée de savants et philosophes grecs et Le Parnasse (vers 1517/1520) avec Apollon entouré de neuf muses et jouant du violon. Les fresques de la voûte complètent les fresques murales et représentent La Justice, La Poésie, La Théologie et La Philosophie, incarnées par des figures féminines entourées chacune de deux anges. Jules II meurt le 21 février 1513. Son successeur, Léon X, amateur de faste et de luxe, poursuit la tradition et place de hautes exigences en Raphaël, qui n’est plus « seulement » peintre, mais devient entre autres, en 1514, maître d’œuvre de la basilique Saint-Pierre.

Comme peintre, Raphaël a été jusqu’au bout de sa discipline et a fourni un travail magistral. C’est également le cas dans ses portraits, où le peintre tranquillement et objectivement nous a livré des documents fascinants sur le plan psychologique et précieux sur le plan historique, nous léguant ainsi une image de son époque. Raphaël n’est pas un flatteur, car sinon il n’aurait pas représenté si fidèlement la difformité de Léon x ni le strabisme du prélat Inghirami.

Comme dessinateur, l’artiste a travaillé avec la même ardeur que Léonard ou Michel-Ange. Il a peint chaque figure, même ses madones, d’après un modèle de nu, avant de les habiller de vêtements, car il a voulu acquérir la parfaite maîtrise de la position et du mouvement du corps humain. C’est le cas de la Madone Sixtine qui incarne la beauté poussée à l’extrême d’un être tout à fait ordinaire – celle peut-être même d’une femme qui lui était proche. Il nous a laissé son image dans la Femme voilée (1512/1513). Par contre La Fornarina (1518), la boulangère, qui vient de l’atelier de Raphaël, a été probablement sa maîtresse. Sainte Cécile (1514) est pour sa part, à comparer à la Madone Sixtine.

Palma il Vecchio (Jacopo Negretti), La Sainte Famille avec Marie Madeleine et le petit saint Jean-Baptiste, vers 1520. Huile sur bois, 87 x 117 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

La Peinture dans le Centre et le Nord de l’Italie

C’est à peu près à l’époque du déclin de la peinture romaine, que non seulement la peinture vénitienne a connu son apogée, mais que des villes comme Parme, Sienne, Florence et Ferrare ont accueilli des peintres qui ont suivi les traces des trois grands maîtres italiens. L’un en particulier a trouvé à Florence l’autonomie et l’indépendance : Andrea d’Agnolo, rebaptisé Andrea del Sarto (1486-1531) à cause du métier de tailleur de son père. Cherchant déjà très tôt sa voie, il a fini par devenir au XVIe siècle le plus grand coloriste italien.

Andrea del Sarto montre que la peinture, elle aussi, doit atteindre ces puissants effets réservés jusque-là au dessin, au modelage et à la composition des figures. À ces grandes aptitudes de coloriste, qui ont fait l’effet d’une révélation à Florence, s’ajoutent une gravité et une grandeur de la composition qui dans la structure architectonique rappellent Fra Bartolommeo et Michel-Ange dans le mouvement des formes et le plissé des vêtements, mais qui en même temps dans le charme et la fluidité du coloris offrent quelque chose de complètement nouveau. Ceci est particulièrement évident dans les représentations de la célèbre Madone aux harpies trônant au milieu des saints. Très tôt, Del Sarto s’est libéré de ses maîtres et de ses modèles, comme en témoigne L’Annonciation (1513). Il aime certes peindre la fierté des femmes, mais ne la transforme jamais en arrogance ni en prétention. C’est ce qui ressort aussi de ses fresques qui, décorant l’entrée de l’église de l’Annunziata et le cloître dello Scalzo, retracent en dix tableaux la vie de saint Jean Baptiste (1511/1526). Comme fresquiste également, il fait partie des grands coloristes italiens. Dans la performance non seulement chromatique, mais aussi monumentale de ses fresques il rejoint les grands maîtres, au moins avec deux œuvres majeures, la Madone au sac (1525), qui doit son nom à Joseph s’appuyant contre un sac et une Cène dans le réfectoire des moines du cloître de San Salvi.

En plus des trois grandes figures de proue de la Haute Renaissance italienne, il faut encore en citer un quatrième : de son vrai nom Antonio Allegri (vers 1489-1534), devenu célèbre sous le nom du Corrège. Aucun autre peintre italien n’a mieux que lui sensibilisé le peuple aux personnages des saints, car ses figures invitent les fidèles d’un geste bienveillant à venir à eux. Ce rapprochement du peuple explique aussi le charme de L’Adoration des bergers (La Nuit) (1529/1530). Son grand mérite réside dans son sens de la réalité, dans la façon d’amener les hommes à regarder de manière telle qu’ils semblent vraiment se mouvoir dans la pièce. Ce qu’il a emprunté à Léonard, à Mantegna et ce qu’il a peut-être aussi appris du ou sur Titien, il se l’est approprié si rapidement qu’il apparaît dans son œuvre majeure, la Madone de saint François (1515) comme un artiste au style personnel.

Le Corrège part en 1518 pour Parme où il séjourne durant presque douze ans. À cette époque, il choisit de dissoudre la symétrie sévère de la composition traditionnelle pour laisser place à la lumière et au mouvement, la majesté divine se transforme en une créature tendre et gracieuse, entourée de saints et d’anges enjoués. La Madone de saint Jérôme (Le Jour) (1527/1528), le pendant de L’Adoration des bergers (La Nuit) et la Madone de saint Sébastien, comme la Madone de saint Georges caractérisent les principales étapes de cette évolution. Celle-ci est encore plus marquée dans ses fresques. La peinture de la coupole de San Giovanni (1520/1521) qui montre le Christ montant au ciel et les Apôtres assis en-dessous de lui, est déjà un vrai Corrège.

Ce que le Corrège a ici magnifiquement réussi, va connaître un autre crescendo dans la peinture de la coupole du dôme, L’Assomption, où il représente la Vierge Marie entourée de groupes d’enfants enjoués et l’ange Gabriel venant à sa rencontre. Ce tableau est tout en mouvements, en entrelacements et en vrais raccourcis de perspective. Le Corrège a révélé un monde joyeux et sa recherche esthétique s’est magnifiquement déployée dans ses tableaux mythologiques. Son chef-d’œuvre Danaé (1531/1532) en est une illustration. Le talent pictural dont il témoigne ici rend hommage également à Léda et le cygne (1531), tableau certainement compromettant au moins pour le goût de son époque, Jupiter et Io, et Jupiter et Antiope (1528).

Fra Bartolomeo, La Vision de saint Bernard, vers 1505. Huile sur panneau, 220 x 213 cm. Galleria dell’Accademia, Florence.

Titien (Tiziano Vecellio), L’Assomption de la Vierge, 1516-1518. Huile sur panneau, 690 x 360 cm. Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venise.

La Peinture à Venise

Dans les dernières années de sa vie, Giovanni Bellini a pu connaître les prodigieux développements de la peinture vénitienne menés par ses disciples. Mais on sait aujourd’hui que Bellini a été surpassé par Palma il Vecchio, Titien et Giorgione, même si leurs travaux ne sont pas généralement reconnus en raison de leur relative jeunesse. Ces trois artistes sont souvent considérés comme des grands maîtres de la peinture vénitienne, dont font encore partie Paolo Véronèse et Jacopo Tintoretto.

Giorgione (vers 1478-1510) part très tôt pour Venise où dans l’atelier de Bellini il aurait fait des progrès si rapides que le jeune homme serait devenu un modèle pour ses condisciples de même âge. L’une de ses œuvres peintes encore sous l’influence de Bellini s’intitule Les Trois Philosophes et montre trois savants vêtus de toges à l’entrée d’une grotte devant un arrière-plan montagneux. À Castelfranco Giorgione exécute, sur commande du général Tuzio Costanzo, un chef-d’œuvre, la Madone de Castelfranco, une Vierge au trône entourée de saint Liberal de Trévise et de saint François (vers 1504/1505). Ce tableau avec ses deux étranges saints et son délicat coloris marque la rupture avec l’art vénitien traditionnel. Il est exécuté avec de minuscules touches de peinture distinctes qui lui confèrent la lumière « magique ». Ceci contribuera à la notoriété de son auteur. Cette œuvre appartient avec Sainte Barbe de Palma, ainsi que L’Assomption (1516/1519) et la Madone Pesaro (1519-1526) de Titien, aux monuments de la peinture vénitienne.

Dans la catégorie des nus féminins, Giorgione compte parmi les précurseurs, avec à ses côtés Titien qui a achevé avec le Corrège ce qu’a commencé Giorgione. Sa Vénus endormie (vers 1508/1510), restée inachevée, repose sur un linge blanc dans un paysage crépusculaire avec, à l’origine, à ses pieds un Cupidon peint par Titien et plus tard recouvert de peinture. Cette Vénus a certainement servi de modèle aux représentations classiques de Palma, Titien et autres artistes vénitiens.

Jacopo Negretti (1480-1528), surnommé Palma « il vecchio » (le Vieux), arrive très tôt à Venise où il devient l’élève de Giovanni Bellini. Il doit, par moments, avoir travaillé très étroitement avec Titien et Giorgione, car l’influence qu’ils exercent sur lui est indéniable. Palma a surtout peint des Saintes Familles ou des beautés vénitiennes plantées au cœur de paysages idylliques.

La deuxième figure de ce groupe est Tiziano Vecellio (1488-1576), plus connu sous le nom de Titien, qui dès l’âge de dix ans part pour Venise, où il devient le disciple de Giovanni Bellini. Il a connu certes certains changements tout au long de sa vie, mais il est resté finalement le grand maître inégalé de la Haute Renaissance italienne. Il a été un psychologue peignant ou un peintre psychologique, comme en témoigne le Christ au denier, une œuvre majeure de sa première période créative (vers 1510-1520).

L’une de ses rares fresques, Les Miracles de saint Antoine de Padoue (1511), révèle son sens du monumental. Dans sa deuxième grande œuvre de cette époque, L’Amour sacré, l’Amour profane (1515), il n’a pas encore dépassé cet idéal de beauté qui le lie à Palma et à Giorgione, comme c’est également le cas dans la Vénus d’Urbin, la Vénus au miroir (vers 1555) ou Vénus et Adonis (1553) commandée par Philippe II d’Espagne (1527-1598).

Giorgione (Giorgio da Castelfranco), Les Trois Philosophes, 1508-1509. Huile sur toile, 125,5 x 146,2 cm. Kunsthistorisches Museum Wien, Vienne.

Giorgione (Giorgio da Castelfranco), La Tempête, vers 1507. Huile sur toile, 82 x 73 cm. Galleria dell’Accademia, Venise.

Andrea del Sarto, Madone aux harpies, 1517. Tempera sur bois, 208 x 178 cm. Galleria degli Uffizi, Florence.

Deux de ses Madones ponctuent le rapide succès de Titien entre 1500 et 1520. La première, la Madone gitane (1512), représente une femme simple aux cheveux noirs, issue du peuple vénitien, la seconde, la Madone aux cerises (1516/1518) est entourée de Jean enfant, de Joseph et de Zacharias. Son épanouissement artistique est marqué par trois grands polyptyques : le tableau de L’Assomption de la Vierge, appelée couramment L’Assomption, la Madone de la famille Pesaro (1519/1526) et finalement le Martyre de saint Pierre, tableau brûlé en 1867.

Titien a aussi bénéficié des faveurs des princes, dont il a peint des portraits, leur donnant ce semblant d’intellectualisme et d’élégance qui leur faisait défaut. Il a orné leurs appartements officiels ou secrets avec des tableaux qui, sous le prétexte mythologique, ont été un fidèle miroir de cette époque. Pour son commanditaire de Ferrare, le duc Alphonse I d’Este, il a traité avec une grande imagination chromatique, dans Bacchus et Ariane (1522/1523), le thème antique et mythologique de la cohorte tumultueuse qui accompagne Bacchus. Sa force picturale, cette façon d’envelopper ce type de travaux dans les charmes sensuels de la couleur n’a pas faibli, même à la fin de sa vie.

Il a développé le culte de la beauté au cours de ses nombreuses études de personnages. Flore (vers 1515) ou Marie-Madeleine repentante (vers 1533), enveloppée de son abondante chevelure, sont des exemples magnifiques de l’art d’idéalisation de Titien, contredits par un seul tableau, La Bella (vers 1536), célèbre portrait d’Isabelle d’Este (ou d’Éléonore Gonzague).

Titien a campé l’empereur Charles Quint (1500-1558) à cheval, couvert de toute son armure et galopant, la lance pointée, vers le champ de bataille. Il a exécuté ici l’un des plus beaux tableaux de cavalier de l’histoire, mais aussi un chef-d’œuvre de la peinture marqué par les interférences entre le paysage et la personnalité du guerrier qui poursuit son but avec une froide détermination. Toute la peinture vénitienne a été finalement dominée durant de longues années par le caractère très affirmé de Titien.

Un peintre instable et sensible aux influences étrangères comme Lorenzo Lotto (vers 1480-1556), l’un des peintres les plus imaginatifs de cette époque, s’est également incliné devant Titien, son modèle. Cet élève de Giovanni Bellini a été très influencé par son maître et par Giorgione. Lotto a toujours cherché à conjuguer l’éclat de la couleur vénitienne, le clair-obscur du Corrège et le mouvement de ses figures avec son goût pour les raccourcis. Mais c’est seulement lorsqu’il repart vers 1526 pour Venise où il entre en compétition avec Titien qu’il y parvient.

Dans certains polyptyques, Lotto a fait preuve d’un talent proche de celui de son maître, comme dans Saint Sébastien, où le personnage, dans un mouvement fluide, surgit dans une lumière quasiment dorée. Lotto, qui a été un jeune homme ascète et éloigné des réalités terrestres, s’est même essayé une seule fois à la peinture de nu avec le tableau du Triomphe de la chasteté, dans lequel une jeune femme vertueusement parée chasse d’un geste impérieux Vénus dénudée, accompagnée de Cupidon rempli d’effroi. Le mouvement et la manière de traiter le corps nu de la femme montrent que Lotto aurait pu ici parfaitement égaler Titien si sa grande piété ne l’avait complètement détourné du monde.

Le Tintoret (Jacopo Robusti), Le Christ lavant les pieds des disciples, vers 1575-1580. Huile sur toile, 204,5 x 410,2 cm. National Gallery, Londres.

Raphaël (Raffaello Sanzio), Madone Sixtine, 1512-1513. Huile sur toile, 269,5 x 201 cm. Gemäldegalerie Alte Meister, Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Dresde.

Véronèse (Paolo Caliari), L’Onction de David, vers 1555. Huile sur toile, 174 x 365 cm. Kunsthistorisches Museum Wien, Vienne.

L’influence de la peinture vénitienne s’est étendue au-delà de Venise pour s’affirmer en particulier à Vérone. C’est de cette ville qu’est originaire Paolo Caliari, surnommé plus tard Véronèse (1528-1588) qui, avant son arrivée à Venise en 1555, a travaillé de façon autonome. Il n’atteint toutefois son ultime maturité qu’avec l’étude des œuvres de Titien et des autres grands maîtres.

Certains de ses cycles de peinture et les fresques allégoriques et mythologiques de la Villa Barbaro (1566/1568) à Trévise sont des fleurons de la peinture décorative formant un tout homogène. Son goût pour une magnificence extrême est tel qu’il est incapable de le réfréner dans les peintures de martyrs chrétiens. C’est pourquoi ses tableaux de martyrs menés à leur lieu d’exécution reflètent souvent le faste et l’affluence humaine des fêtes populaires.

Dans le monument classique des tableaux vénitiens de cette époque, Les Noces de Cana (1563) ou le monumental Banquet chez Lévy (1573), le motif biblique n’est qu’un prétexte pour peindre un brillant banquet réunissant autour du Christ des hommes importants et des belles femmes de la société vénitienne, sous oublier l’inévitable cohorte de serviteurs, de musiciens et d’acteurs.

Véronèse affectionne aussi les histoires de l’Ancien Testament, lorsqu’elles lui donnent l’occasion de peindre des femmes et des jeunes filles dans des poses esthétiques ou arborant de gracieux mouvements. Dans L’Histoire d’Esther (1556) ou dans Moïse sauvé des eaux (1580), il traite les sujets avec la même exaltation que les légendes grecques illustrées par L’Enlèvement d’Europe (vers 1580), qui compte indéniablement parmi ses chefs-d’œuvre.

Dans le palais des Doges, à Venise, Véronèse a atteint le summum de son art, en passant du style serein et décoratif au monumental. Son travail est à l’image de sa vie, paisible et modeste, aux antipodes d’un Titien élégant et mondain, favori des empereurs, des rois et des princes. Le fougueux Vénitien Jacopo Robusti (1518-1594), plus connu sous le surnom du Tintoret (le petit teinturier), est un peintre complètement différent de Véronèse.

Il essaie d’apporter dans sa peinture ce qui a peut-être jusque-là manqué à la peinture vénitienne, la vie dramatique exacerbée en un pathos poignant. Il a appris la couleur et, ici en particulier, le chaud coloris doré caractéristique de ses œuvres de jeunesse, au cours de son bref apprentissage chez Titien.

On retrouve ce coloris doré dans des tableaux mythologiques comme Amour, Vénus et Vulcain ou Adam et Ève ou dans la série de tableaux emblématiques de l’art vénitien, Le Miracle de saint Marc (1548).

Le Tintoret fonde son art sur l’idée du naturalisme. Il introduit ce principe dans la peinture vénitienne en copiant Michel-Ange. Il a été un travailleur acharné – un « workalcoholic », comme on dirait aujourd’hui – qui a exécuté plus de tableaux que Titien et Véronèse réunis. Un artiste comme le Tintoret, qui pouvait et voulait tout faire, a peint naturellement aussi des portraits, accomplissant ici un travail remarquable, sans pour autant réaliser une étude de l’âme comme l’ont fait Léonard, Raphaël et Titien. Toutefois, ses peintures représentatives et solennelles de doges, princes, généraux et dignitaires constituent de remarquables documents historiques.