07. Peintre d’Euaion, Éraste et jeune musicien, vers 460 avant J.-C.
Assiette à figures rouges. Musée du Louvre, Paris.
Les premiers Grecs étaient une bande de tribus rurales dispersées qui finirent par s’installer dans de petites enclaves connues sous le nom de cités-États. La pratique déclarée de l’homosexualité était déjà répandue dans les cités-États grecques dès le début du VIe siècle avant Jésus-Christ et devint partie intégrante des traditions de la Grèce archaïque et classique. L’homosexualité masculine, ou plutôt la pédérastie, était liée à l’entraînement militaire et à l’initiation des jeunes garcons à la citoyenneté. La plupart de nos informations sur l’homosexualité en Grèce proviennent de l’art, de la littérature et de la mythologie dans la cité-État athénienne. Pourquoi les Athéniens du IVe siècle avant Jésus-Christ acceptèrent-ils l’homosexualité et se conformèrent-ils si volontiers à des coutumes homo-érotiques ? C’est là une question difficile à laquelle il n’est pas aisé de répondre. Bien que chaque cité-État imposât des lois distinctes et pratiquât des mœurs différentes, Sparte, Thèbes, la Crète, Corinthe et d’autres apportent aussi dans les arts plastiques et la littérature la preuve d’un intérêt pour l’homosexualité et ses pratiques. Le premier témoignage de relations homo-érotiques dans la Grèce antique provient d’un fragment écrit par l’historien Éphoros de Kymè (v. 405–330 av. J.-C.), qui raconte l’histoire d’un ancien rituel qui avait lieu dans la Crète dorienne au VIIe siècle avant Jésus-Christ, dans lequel des hommes mûrs initiaient de jeunes garçons aux activités masculines comme la chasse, les banquets et, probablement aussi les relations sexuelles (Lambert, in Haggerty, 80).
On peut voir à quel point dans l’Antiquité l’homosexualité fut un aspect important de la culture grecque dans ses mythes, ses rites et rituels, ses légendes, son art et sa littérature, et dans les mœurs de toute la société. Les principales sources artistiques et littéraires sur l’homosexualité en Grèce se trouvent dans la poésie de la fin de l’époque archaïque et le début de la poésie classique, les comédies d’Aristophane et les pièces d’autres auteurs tels qu’Euripide, Eschyle et Sophocle, les dialogues de Platon et les scènes peintes sur les vases grecs (Dover, 9). C’est surtout dans les écrits de Platon (v. 429–347 av. J.-C.) que le thème de l’amour homosexuel fut débattu le plus vigoureusement. Dans ses dialogues, Platon s’intéressa à l’homosexualité masculine qu’il considérait comme un objectif spirituel plus élevé que le contact hétérosexuel et la procréation. Les trois célèbres dialogues de Platon – Lysis, Phèdre et Le Banquet – rapportent des conversations imaginaries et quelquefois ironiques sur la sexualité masculine et les relations érotiques (Jordan, in Haggerty, 695). Nombre de passages de ces dialogues décrivent l’amour entre hommes comme paiderastia (pédérastie) – c’est-à-dire l’amour érotique actif d’un adulte pour un adolescent beau et passif [le mot paiderastia est dérivé de pais (jeune garçon) et eran (aimer)]. Dans le Lysis et dans Le Banquet, Socrate (l’un des protagonistes des dialogues) recherche activement la beauté des jeunes adolescents. Pour Socrate, l’(homo)éros était la recherche de buts nobles dans la pensée et l’action. On ne sait pas exactement comment la pratique de la pédérastie s’est développée dans la Grèce antique, mais la mythologie qui a survécu depuis l’Antiquité suggère que le roi de Crète Minos l’introduisit pour éviter la surpopulation de son île.
La société athénienne voyait dans la paiderastia le principal mode de socialisation et d’éducation des jeunes hommes libres pour les initier à la virilité et à la citoyenneté. En tant qu’institution, elle fut le complément, et non le rival, du mariage hétérosexuel. Bien que de nos jours le terme de « pédéraste » soit péjoratif, dans la Grèce antique, il n’avait pas une connotation aussi négative et était employé dans le contexte de la relation éraste-éromène. Dans cette relation, un homme mûr (l’éraste ou « celui qui aime » [« l’inspirateur » à Sparte]), généralement barbu et de rang social élevé, était censé rechercher activement puis conquérir un jeune garçon (l’éromène, ou « objet d’amour » [« l’auditeur » à Sparte] et éveiller en lui la compréhension et le respect des vertus masculines de courage et d’honneur. De tels attributs étaient, bien sûr, non seulement utiles à la stabilité sociale en Grèce, mais apportaient également la garantie d’actes de bravoure et de loyauté lorsqu’ils étaient nécessaires pour défendre la cité-État sur le champ de bataille.
08. Peintre de Brygos, Éraste sollicitant un éromène, vers 500-480 avant J.-C.
Coupe attique. The Ashmolean Museum, Oxford.
C’est dans Le Banquet de Platon que l’amour homosexuel est exprimé et longuement loué entre un vieil amant barbu (éraste) et un jeune garçon imberbe aimé (éromène : entre la puberté et l’âge de dix-sept ans). Le Banquet fait partie de ce que l’on appelle la « littérature de banquet », ou ensemble de discussions informelles sur des sujets variés, comprenant les mérites philosophiques et moraux de l’amour et les charmes des jeunes hommes et des garçons. Beaucoup de scènes peintes sur des vases illustrent ce qui se passait dans ces banquets ou symposia, dans lesquels de jeunes garçons servaient souvent à boire aux convives. Le Banquet de Platon décrit les règles strictes de la séduction et de l’amour qui régissent la relation entre l’éraste et l’éromène. Il y a de nombreux tabous. Par exemple, un jeune garçon ne pouvait en aucun cas jouer le rôle de l’agresseur, du poursuivant, ou de celui qui pénètre. La séduction ou l’activité sexuelle entre deux garçons ou deux hommes de même âge ou de même rang social étaient également déconseillées. On attendait qu’elles soient inter-générationnelles et que les classes y soient respectées.
La majorité des premiers témoignages visuels sur les mœurs et coutumes de la séduction homosexuelle et des pratiques sexuelles dans la Grèce antique nous viennent des scènes peintes sur les vases. Les vases grecs, que l’on utilisait pour porter l’eau, conserver le vin et l’huile d’olive et servir les aliments et la boisson, étaient produits en grande quantité par des artisans locaux et exportés dans toute la région méditerranéenne. Beaucoup étaient vendus à une clientèle de classe moyenne – et supérieure – et portaient souvent des scènes peintes à la main représentant des dieux, des mythes, des faits héroïques ou des images de la vie quotidienne. On voit sur de nombreux vases, datant des VIe et Ve siècles avant Jésus-Christ, des hommes mûrs conversant avec de plus jeunes, leur offrant des cadeaux, touchant leurs parties génitales ou les étreignant. On trouve aussi couramment représentés des portraits d’hommes se consacrant à l’athlétisme, des scènes de séduction ou des illustrations de l’acte sexuel. Souvent, un éraste faisait faire un vase spécialement pour son éromène, afin de le lui offrir en même temps que d’autres cadeaux, tels qu’un lièvre, un jeune coq ou un cerf. Ces présents étaient la norme et ils étaient associés à la chasse, ce qui soulignait la fonction de rite de passage du rapport pédérastique. Parfois y figuraient de brèves inscriptions, ou bien le mot kalos (beau) apparaissait précédé du nom du jeune garçon ou de l’adolescent favori.
11. Apollodore, Deux Hétaïres, vers 500 avant J.-C.
Coupe attique à figures rouges. Museo Archeologico, Tarquinia.
12. Hommes séduisant un jeune homme, vers VIe siècle avant J.-C.
Staatlichen Antikensammlungen und Glyptothek, Munich.
Vers l’âge de 18 ans, un éromène devenait éraste et était censé se marier, avoir des enfants et jouer un rôle actif dans la poursuite d’hommes plus jeunes. Cependant, ces règles sociales très strictes appelaient souvent des transgressions. Celles-ci étaient souvent représentées dans les scènes peintes sur les vases et pouvaient être reliées aux fréquents avertissements de Platon et à ses mises en garde contre les abus des mâles athéniens en matière sexuelle. Bien que sujet de préoccupation pour les Anciens, ces transgressions étaient mineures comparées aux tabous les plus graves – le rapport sexuel oral et anal. Ces activités étaient considérées comme indignes des citoyens athéniens mâles et réservées aux femmes, aux prostitué(e)s, aux étrangers (appelés « barbares » par les Grecs), et aux esclaves. De même que la passivité féminine, la pénétration anale et la sexualité orale étaient associées à l’activité bestiale communément représentée sur les vases qui montrent des satyres ou autres créatures mythologiques. Les satyres (êtres mythologiques mi-hommes, mi-boucs) sont les symboles du conflit entre l’homme civilisé et ses incontrôlables passions et désirs animaux. Leur virilité était insatiable et ils étaient habituellement représentés ivres, avec des organes génitaux énormes, copulant ou se masturbant.
Malgré l’interdit social et moral contre la sexualité orale et anale entre partenaires de même sexe, ces activités étaient pratiquées en privé. Ainsi, bien que les scènes de rapport sexuel anal entre des hommes et de jeunes garçons soient relativement rares dans l’art grec, elles ne sont pas tout à fait absentes. D’autre part, des scènes dans lesquelles des hommes et des femmes pratiquent la sexualité anale sont assez courantes. La plupart des scènes figurant sur les vases athéniens représentant des rapports homosexuels montrent des érastes caressant les parties génitales d’éromène ou la position debout acceptée, le rapport face-à-face intercrural (masturbation mutuelle et insertion du pénis en érection entre les cuisses du partenaire).
Le rapport sexuel anal était tourné en dérision par de nombreux dramaturges qui l’utilisaient comme indicateur pour juger de la moralité de quelqu’un. Les rôles sociaux et sexuels ambivalents joués entre érastes et éromènes dans la séduction sont suggérés dans certaines comédies d’Aristophane, où l’homme sodomisé est ridiculisé et malmené. Il y a des images correspondantes sur les vases, dans lesquelles l’anus devient le lieu des insultes et des railleries. Être passif et pénétré, c’était une marque de honte et de comportement immoral. Même si de jeunes garçons et des hommes pratiquaient l’homosexualité comme forme d’initiation au statut privilégié de citoyen, la conception régnante d’une masculinité active et dominante devait être maintenue. Consentir trop vite aux avances était considéré comme un signe de faiblesse et rendait inéligible au rang de citoyen et de guerrier honnête. C’est en partie pour cette raison que beaucoup de scènes figurant sur les vases montrent de jeunes hommes résistant aux avances de leurs prétendants plus âgés.
13. Peintre d’Euaichme, Homme offrant un
cadeau à un jeune homme, vers 530–430 avant J.-C.
Vase athénien à figures rouges. The Ashmolean Museum, Oxford.
15. La Compétition de baisers, vers 510 avant J.-C.
Assiette attique à figures rouges. Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin.
16a. Hommes et jeunes gens pratiquant des rapports sexuels oraux et anaux,
VIe siècle avant J.-C. Figures rouges attiques. Musée du Louvre, Paris.
16b. Hommes et jeunes gens pratiquant des rapports sexuels oraux et anaux,
VIe siècle avant J.-C. Figures rouges attiques. Musée du Louvre, Paris.
Les Compagnons d’armes et la beauté du corps
La culture de la Grèce antique était centrée sur le mâle. Hommes et jeunes garçons avaient un statut privilégié par rapport aux femmes et aux jeunes filles. L’éducation correcte des garçons était un enjeu primordial pour l’avenir de la cité-État. Le but du système éducatif en Grèce – appelé la paideia – était de parvenir à la perfection masculine en cultivant le corps, l’esprit et l’âme. La pédérastie, dont l’objectif était de favoriser l’amour érotique entre des hommes et des jeunes gens, apparaissait comme un moyen efficace pour encourager cet idéal. L’éducation des jeunes gens se faisait dans un lieu appelé le gymnase. Le gymnase n’était pas un simple bâtiment, mais plutôt un complexe de structures situé dans le centre de chaque cité-État grecque. Là, des hommes, de jeunes garçons et des éphèbes (adolescents âgés de 18 à 25 ans) consacraient un grand nombre d’heures par jour à des exercices physiques et intellectuels. Étaient aussi présents des philosophes, des poètes et des artistes d’âges divers, tous rassemblés dans un environnement strictement masculin pour discuter, débattre et considérer les vertus morales et philosophiques du genre et du caractère masculin. Le gymnase devint littéralement « un épicentre de l’énergie érotique ». Des statues en bronze représentant des athlètes, des dieux, des héros et des guerriers (Hermès, Apollon, Hercule, Éros) étaient placées en divers lieux du gymnase. Cette exposition quotidienne de représentations artistiques de la perfection du corps masculin était destinée à inspirer aux jeunes spectateurs le désir d’atteindre cet idéal.
Deux types de sujets abondaient dans les statues masculines grecques (connues de nos jours grâce à des copies romaines ultérieures en marbre de bronzes grecs originaux) à l’intérieur du gymnase – les guerriers et les athlètes. Le Doryphore (Porteur de lance) du sculpteur grec Polyclète est le premier exemple du culte du corps masculin nu en Grèce. Le Doryphore représente un éphèbe qui, bien qu’imberbe, se trouve à la transition entre l’éromène et l’éraste. Au gymnase, il s’entraîne pour accroître sa force, son agilité, sa bravoure et son adresse (Saslow, 31). Avec cette statue, la beauté masculine est élevée à un statut quasi divin. Parce que les Grecs voyaient dans le nu masculin un signe extérieur de perfection, ils avaient coutume de s’exercer et d’aller à la bataille nus. La nudité elle-même portait en elle une signification métaphysique. La perfection physique extérieure allait de pair avec une perfection spirituelle et morale intérieure.
L’un des avantages pratiques du système de la pédérastie en Grèce était son intérêt militaire. Les Grecs de plusieurs cités- États allaient souvent au combat en couple, l’éraste avec l’éromène. Le courage des couples pédérastiques, tels les 150 couples d’amants appelés « la Bande sacrée de Thèbes », fut célèbre dans toute la Grèce antique et fut un facteur important pour remonter le moral des Grecs et leur permettre de vaincre leurs ennemis. Des couples combattaient souvent nus, car les Grecs accordaient à la nudité une valeur métaphysique, ce qui les distinguait des étrangers ou des barbares non civilisés. Certains de ces couples de guerriers furent connus comme tyrannicides (tueurs de tyrans). Le plus célèbre d’entre eux est celui d’Harmodius et Aristogiton.
Pour interpréter les images peintes sur les vases, une certaine connaissance de la mythologie grecque est indispensable. La mythologie grecque, comme la société grecque en général, était extrêmement anthropocentrique, ou centrée sur l’humain. C’est à travers les mythes que les Grecs de l’Antiquité étaient en relation avec les cycles et les saisons de la nature et rationalisaient le monde des émotions et des sensations. Les mythes grecs se concentrent en général sur les aspects puissants, héroïques et grandioses des dieux, mais ils abordent aussi les appétits sexuels des dieux et leur union avec des héros et des mortels. Les dieux grecs étaient des personnifications de la nature, souvent engagés dans diverses aventures sexuelles de toutes tendances – homosexuelles, hétérosexuelles, intergénérationnelles et bestiales. Les mythes racontant les amours fatales entre des dieux, des héros et de beaux jeunes gens abondent dans les scènes peintes sur les vases, dans la statuaire et sur les fresques. Les mythes qui, le plus couramment, abordent le thème de la pédérastie et de l’homosexualité en Grèce sont ceux de Zeus et Ganymède, Apollon et Hyacinthe, Apollon et Zéphyr, Achille et Patrocle.
L’histoire de Zeus et Ganymède est peut-être la scène de désir homosexuel la plus fréquemment représentée sur les vases, sur les mosaïques de pavement et dans la statuaire. Le mythe illustre l’une des nombreuses histoires divines de séduction chantées par les Grecs pour expliquer les origines du cosmos et les travaux de la nature. Avec ce mythe, la différence d’âge et de statut entre le dieu et son jeune favori reflète les inégalités dans la relation hiérarchique et structurée de façon rigide de l’éraste et de l’éromène dans la société athénienne à l’époque classique. C’est au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, dans l’épopée d’Homère appelée l’Iliade, que l’on trouve la plus célèbre des unions entre hommes dans la camaraderie d’Achille et Patrocle pendant la guerre de Troie. Dans cette histoire, Homère glorifie leur amitié, mais ne mentionne pas qu’ils étaient amants. Les Grecs classiques eux-mêmes interprétaient le texte d’Homère comme une référence à leur propre pratique sociale de la pédérastie et affirmaient qu’Achille et Patrocle formaient un couple pédérastique. Achille, jeune guerrier décrit comme le plus beau et le plus noble des Grecs, fut profondément malheureux quand son compagnon Patrocle fut tué par Hector, fils de Priam, roi de Troie. Achille et Patrocle apparurent pour la première fois dans l’art vers la fin du VIe siècle avant Jésus-Christ sur des vases athéniens à figures noires (Saslow, 16). Plusieurs vases à figures rouges de la fin du VIe siècle avant Jésus-Christ au IVe siècle avant Jésus-Christ montrent le lien amoureux entre les deux guerriers.
20. Euphronios, Éphèbes au bain, vers 500–505 avant J.-C.
Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin.
21. Scène d’accouplement avec un cheval, VIe siècle avant J.-C.
Vase grec. The British Museum, Londres.
La Période hellénistique : l’âge de Dionysos
Étant donné la structure d’initiation à la citoyenneté et au monde des guerriers, il n’est pas surprenant que beaucoup de chefs militaires grecs aient été célèbres pour leurs désirs sexuels et érotiques pour d’autres hommes. Le plus fameux fut Alexandre le Grand (356–323 av. J.-C.) qui ne fit aucun secret de son amour intense pour un jeune commandant appelé Héphestion. C’est Alexandre le Grand qui inaugura la période connue sous le nom d’hellénistique. Avant et pendant le règne d’Alexandre, l’influence de la Grèce s’étendit largement grâce au commerce et à la conquête de territoires étrangers. Comme la culture grecque entrait de plus en plus en contact avec d’autres peuples, ses propres modes de pensée et d’action commencèrent à montrer des signes d’influence étrangère. Un changement dans les conditions sociales, ajouté à l’influence des philosophies et des pratiques religieuses orientales, eut pour conséquence une attitude nouvelle envers la sexualité. Dans cette période, la pédérastie était toujours pratiquée, mais son importance en tant qu’institution sociale de vant préparer les garçons à devenir citoyens avait décliné. À sa place, se développa un hédonisme croissant et une tendance au matérialisme et à l’excès. Le plaisir physique était recherché pour lui-même et la bisexualité régnait. Les sensibilités hellénistiques envers le sexe devaient plus tard influencer la culture de Rome qui, durant cette période, s’étendait militairement et avançait dans le territoire grec.
Dès le début de la période hellénistique, la production de vases grecs et de scènes peintes sur les vases avait décliné de façon significative. Les Grecs hellénistiques reportèrent leur attention sur la création de statues en marbre et en bronze centrées principalement sur le physique et les plaisirs du corps. Au cours de la période classique, les Grecs s’étaient rendus célèbres par la célébration de la beauté physique masculine, une esthétique qui tenait une position fondamentale dans la pensée éducative de la période. Contrairement à la statuaire grecque classique dans laquelle la contemplation paisible de la beauté physique masculine était souveraine, une grande partie de la sculpture de la période hellénistique est turbulente et sans originalité, requérant souvent de la part du spectateur une participation psychologique et physique aux activités présentées. C’est le cas par exemple de L’hermaphrodite endormi. L’image de l’hermaphrodite devint très populaire au cours de l’époque hellénistique, conséquence de la tolérance et de l’expérimentation dans cette période de diverses pratiques sexuelles qui déviaient de la norme. Hermaphrodite était une divinité mineure, rejeton des dieux Aphrodite et Hermès, qui présentait les caractéristiques des deux sexes. Dans la période hellénistique, l’hermaphrodite fut adoré comme incarnation de la bisexualité et comme dieu du mariage (Saslow, 41).
L’Hermaphrodite endormi fait vaguement partie de ce que l’on appelle l’art dionysiaque (Smith), qui fait référence à l’art produit durant la période hellénistique, et qui a pour sujet diverses créatures mythologiques telles que des satyres, des faunes, des bacchantes, des centaures, des nymphes et Pan. Outre le fait que ces personnages soient tous adeptes de Dionysos (Bacchus pour les Romains), dieu de l’agriculture et du vin, ce que la plupart d’entre eux ont en commun, c’est qu’ils sont sauvages, s’ébattent dans les bois et sont d’une nature lascive. Comme Dionysos, ils sont associés à l’ivrognerie et à la libération orgiaque. Leur sexualité est souvent excessive et quelquefois ambiguë. Ces caractéristiques dionysiaques se retrouvent dans la période romaine et sont particulièrement visibles dans les œuvres d’art découvertes à Pompéi (Saslow, 38).
22. Peintre de Berlin, Hommes et jeunes gens, vers 540 avant J.-C.
Amphore attique à figures noires. The British Museum, Londres.
23. Doryphore, vers 440 avant J.-C. Marbre, h : 196 cm.
Copie d’après un original grec de Polyclète.
The Minneapolis Institute of Arts, Minneapolis.
24. Cercle du peintre de Nikosthenes, Scène de satyre, vers Ve siècle avant J.-C.
Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin.
L’Influence de la Grèce à l’étranger
Les Grecs furent des commerçants, des explorateurs et des conquérants insatiables. Pendant des siècles avant et après la période classique (Ve siècle avant Jésus-Christ), les Grecs exportèrent leurs idées et leurs expériences vers d’autres pays et d’autres cultures. Lorsqu’ils arrivèrent dans ce qui est aujourd’hui l’Italie, ils durent affronter les autochtones étrusques qui avaient occupé le centre et le nord de ce territoire entre le IXe et le IIIe siècle avant Jésus-Christ. Notre connaissance de l’art et des origines de ces peuples est très limitée, mais ce qui est certain, c’est qu’ils avaient des coutumes très différentes de celles des Grecs et une vision spécifique de la mort. Avant qu’ils n’entrent en contact avec les Étrusques, le concept de vie après la mort était étranger à la pensée et la pratique des Grecs. La Tombe du plongeur à Paestum dans le sud de l’Italie et La Tombe des taureaux à Tarquinia près de Rome ne sont que deux exemples de tombes décorées qui montrent à quel point les Étrusques utilisaient dans leur art funéraire un grand nombre de symboles et de figures à connotation sexuelle.
La forte influence réciproque des Grecs et des Étrusques devait avoir un impact significatif sur l’art et l’expérience des Romains qui, finalement vainqueurs, absorbèrent des aspects des deux cultures. Cependant, malgré cette influence, beaucoup d’écrivains grecs, y compris Platon, et plus tard romains, désignèrent les Étrusques comme des gens immoraux à cause de leur apparente luxure et de leurs pratiques sexuelles insolites. Des textes romains accusèrent les Étrusques de se partager les femmes, de pratiquer l’homosexualité sans justification philosophique, de prendre part à des orgies et de ne faire preuve d’aucune pudeur quant aux rapports sexuels et au corps nu. En effet, on trouve des scènes suggestives d’homosexualité sur beaucoup de fresques de tombes, de sculptures, de poteries, d’urnes, de sarcophages, et sur de petits objets décoratifs. On pense que ces scènes représentant des rapports homosexuels et hétérosexuels dans l’art funéraire étrusque ne se voulaient pas le reflet d’activités réelles, mais servaient de métaphores pour conjurer le démon ou étaient associées à des rituels ou à des fêtes religieuses.
25. Homme et éphèbe en conversation, vers 420 avant J.-C.
Assiette à figures rouges. Musée municipal, Laon.
26. Peintre de Penthésilée, Zeus et Ganymède,
vers 530–430 avant J.-C. Vase attique à figures rouges.
Les Désillusions de Sappho
Dans l’Antiquité, les mâles dominaient la société et les femmes étaient séparées des hommes dans presque toutes les cités-États grecques. Contrairement aux jeunes garçons et aux jeunes hommes, dans l’Athènes classique, les femmes étaient totalement absentes de la vie publique. La plupart d’entre elles n’avaient pas droit à l’éducation et étaient pratiquement maintenues dans la solitude, ne voyant que leur famille proche. Parce que la société grecque était centrée sur le masculin – c’est-à-dire une société créée par et pour les hommes qui prenaient part à ses aspects publics (art, poésie, littérature, politique, etc.), l’homosexualité féminine est, à peu de choses près, invisible dans les scènes figurant sur les vases, dans la poésie lyrique, et dans le théâtre. Bien que l’homosexualité féminine existât de fait dans l’Antiquité, seuls quelques écrivains et artistes traitèrent du sujet dans le monde grec. Platon fit référence en passant à l’homosexualité féminine dans ses écrits, la présentant en des termes philosophiques abstraits à travers une parabole sur les androgynes des premiers âges, mais ne disant rien de sa pratique dans la société de son temps (Saslow, 29). Aristophane, lui aussi, évita le sujet, le réduisant à une discussion sur le rôle des femmes comme hétaïres, ou courtisanes professionnelles dans la société grecque. Une scène rare peinte sur un vase d’Apollodore montre deux hétaïres dans un rapport intime. Il y a aussi une extraordinaire scène peinte sur un vase qui montre deux femmes échangeant des gestes de séduction.
Même si les hommes athéniens n’accordaient aucun intérêt à la vie sexuelle des femmes, le droit grec autorisa à Sparte une forme d’homosexualité féminine institutionnalisée. C’est dans les thiasoi, ou communautés sociales et éducatives de femmes et de jeunes filles, que l’homosexualité féminine fut la plus répandue. Les thiasoi étaient des écoles dans lesquelles « des femmes mûres enseignaient à des adolescentes la musique et la danse, le charme et la beauté » (Saslow, 19–20). Comme les garçons avec leurs érastes, les filles de rang social élevé étaient séparées de la société et prenaient part à des rituels consacrés à Diane, déesse de la virginité et de la chasse. Théoriquement, les thiasoi étaient des écoles destinées à préparer les jeunes filles au mariage, mais la nature de leur environnement centré sur la femme favorisait entre elles les relations affectives et sexuelles intimes. Entre autres éléments d’une éducation raffinée mais limitée, beaucoup de jeunes filles apprenaient l’écriture de la poésie. Les poèmes lyriques (poésie accompagnée par une lyre) de Sappho sont les plus célèbres, connus pour exalter l’amour passionné d’une femme pour une autre femme.
L’influence de Sappho fut si profonde que Platon la qualifia de « dixième Muse ». Elle était née pendant la période archaïque en 612 avant Jésus-Christ dans la cité de Mytilène, dans l’île égéenne de Lesbos, située près de la côte occidentale de ce qui est aujourd’hui la Turquie. Elle éduqua dans un thiasos des jeunes filles qui venaient spécifiquement de Lesbos et de la côte ionienne. Ses poèmes lyriques parlèrent de ses nombreuses amours, y compris de l’amour de ses propres élèves. Elle évoque le regret et le désespoir – chantant la passion et la jalousie commandée par le désir. Nombre de ces poèmes sont fragmentaires et disponibles seulement dans des copies anciennes. Un seul est parvenu jusqu’à nous complètement intact.
Malgré la nature manifestement homo-érotique de sa poésie, de nombreux écrits anciens sur la vie de Sappho ne mentionnent que sporadiquement son homosexualité. Durant les périodes hellénistique et romaine, elle fut présentée comme une femme mariée bisexuelle. L’histoire de son dramatique suicide pour un homme du nom de Phaon, un passeur d’une grande beauté, devint légendaire (Dover, 74). Son suicide a donné à certains auteurs une excuse légitime pour mettre au premier plan son hétérosexualité et minimiser ou ignorer totalement son homosexualité. D’autres encore ont comparé ses relations intimes avec des femmes au modèle éraste-éromène dans la Grèce antique – ce qui montre aussi jusqu’à quel point la sexualité des femmes n’était regardée que par rapport à celle des hommes.
Il n’existe pas de preuve visuelle ou écrite permettant de savoir exactement à quoi ressemblait Sappho. Sa représentation sur les vases apparaît au moins cent ans après la fin de sa vie et ces portraits, comme on l’a observé, ne présentent aucune ressemblance l’un avec l’autre (Snyder, 31). Il existe cependant un vase à figures rouges datant de 450 avant Jésus-Christ environ qui, suppose-t-on, montre Sappho assise entre deux figures féminines debout, l’une tenant une lyre, l’autre une guirlande.
Outre le personnage de Sappho en tant que figure légendaire dont l’œuvre manifeste la présence de l’homosexualité féminine dans l’Antiquité, il y a aussi la mythologie. Bien que les Amazones soient un mythe sur des femmes créé par des hommes, elles évoquent l’existence et la viabilité de l’indépendance sexuelle féminine dans l’Antiquité. Les Amazones étaient une tribu légendaire de guerrières à cheval qui avaient fui la compagnie des hommes et vivaient, chassaient et allaient au combat ensemble dans un environnement uniquement féminin. D’après la mythologie, elles venaient d’Asie mineure, près de la mer Noire, et elles adoraient Diane, déesse de la chasse. Dans l’art, les mâles grecs sont souvent montrés luttant contre une Amazone, manifestation courante de la barbarie et de la peur sexuelle des femmes. Dans le mythe, l’Amazone subvertit l’ordre « naturel » en rejetant le mariage et en pratiquant la mutilation ou l’infanticide de ses enfants mâles.
28. Les Tyrannoctones Harmodios et Aristogiton, vers 477 avant J.-C.
Marbe, h : 195 cm. Copie d’après un original grec de Critios.
Museo Archeologico Nazionale, Naples.
Rome de la République à l’Empire
Les Étrusques comme les Grecs furent finalement conquis par l’avancée des forces romaines au cours du IIe siècle avant Jésus-Christ. Les Romains, attirés par l’art et la culture grecs, absorbèrent certaines pratiques des Grecs et des Étrusques dans leur art et dans leur culture, en particulier leurs religions polythéistes, leurs dieux et leurs déesses. L’approche romaine de la sexualité en général et de l’homosexualité en particulier fut, cependant, assez différente. Chez les Romains, la domination sexuelle masculine sur les femmes et les autres hommes était tenue pour acquise : les riches Romains gardaient fréquemment des maîtresses, des esclaves et de jeunes garçons pour leur plaisir sexuel, et la prostitution masculine et féminine était légale. Les Romains de l’Antiquité pouvaient avoir des rapports sexuels avec leurs esclaves masculins ou féminins sans craindre la marginalisation sociale ou le blâme. L’important pour l’amour-propre d’un Romain, c’était de maintenir l’apparence d’une masculinité active qui, par essence, signifiait qu’il était préférable d’être toujours « celui qui pénètre » plutôt que le receveur. Les hommes romains étaient préoccupés de maintenir une façade publique de la masculinité qui était fondée sur le pouvoir de pénétration du pénis. Ainsi, que le partenaire sexuel soit masculin ou féminin n’était pas le problème. L’homosexualité n’était pas techniquement punie à moins qu’elle ne violât les strictes structures de classe ou les rôles sociaux.
L’attribution d’une classe, d’un statut social ou d’une responsabilité civique fut pratiquée plus strictement par les Romains qu’elle ne l’avait été par les Grecs. La société romaine eut davantage tendance à être misogyne que la grecque qui l’avait précédée et développa un système sexuel dans lequel les femmes comme les esclaves étaient considérées comme propriété des hommes, toute liberté leur étant refusée. Alors que la plupart des actes d’homosexualité se bornaient à Rome à des rencontres entre les maîtres et leurs esclaves et que nombre de philosophes prévenaient contre la pédérastie, l’amour du même sexe fut suffisamment courant durant les périodes de la République et de l’Empire romains pour qu’on le trouve dans de nombreux documents romains historiques et biographiques. La pratique de l’homosexualité se développa d’autant dans la Rome impériale que la majorité des empereurs romains étaient sexuellement ambivalents et pratiquaient la bisexualité. Fondée sur les écrits anciens et sur l’art, l’homosexualité ne fut pas un sujet philosophique aussi important pour les Romains qu’il l’avait été pour les Grecs. Cependant, beaucoup d’auteurs romains, qui le désapprouvaient dans leurs écrits, pratiquèrent parfois l’acte d’« amour grec » qu’ils condamnaient publiquement.
Nombre de mentions de l’homosexualité dans le monde romain confirment une foi solide en la valeur du maintien de la bienséance sociale. Quand l’homosexualité est abordée, c’est pour confirmer la stigmatisation sociale contre la passivité masculine et les influences corruptrices de la sodomie. Comme en Grèce, il était inconvenant pour un citoyen romain potentiel ou confirmé de subir la pénétration anale ou de pratiquer la sexualité orale ; c’étaient des actes réservés aux femmes (qui civilement n’étaient pas considérées comme citoyennes), aux esclaves et aux prostitués masculins et féminins. Le tabou contre le rapport sexuel anal était si fort que, contrairement à sa pratique dans la Grèce antique, la pédérastie était strictement interdite à Rome. L’imagerie visuelle de la séduction et de la consommation intergénérationnelles associée à la notion grecque d’amour idéalisé entre hommes fut bannie dans l’art romain. Selon John Clarke, cependant, on peut se demander dans quelle mesure les Romains de la fin de la République et des débuts de l’Empire suivirent en réalité la pratique grecque de l’homosexualité (Clarke, 291). Bien que la quantité d’informations visuelles sur la sexualité et l’activité érotique entre hommes dans l’art romain soit moins importante que pour l’art grec, des images d’activité sexuelle – à la fois hétérosexuelle et homosexuelle – forment une large part des documents visuels romains.
30. Achille pansant les blessures de Patrocle, VIe siècle avant J.-C.
Staatliche Museen zu Berlin, Berlin.
31. Pan enseignant la flûte à Olympe, IVe siècle avant J.-C.
Marbre. Museo Archeologico Nazionale, Naples.
32. Le Faune Barberini, vers 200 avant J.-C. Marbre, h : 125 cm.
Staatliche Antikensammlungen und Glyptothek, Munich.
33. Scène de banquet, paroi nord de la Tombe du plongeur,
vers 480 avant J.-C. Musée de Paestum, Italie.
Les artistes romains n’ont pas créé des scènes de genre homo-érotique ou des scènes franchement érotiques aussi populaires que celles figurant sur les vases grecs. La période républicaine se caractérisait par une morale sévère. Avec l’avènement de l’Empire romain, l’influence et la richesse d’autres cultures, la moralité de la République romaine laissa rapidement place à une sorte de permissivité sexuelle. Au début du Ier siècle après Jésus-Christ, le puissant tabou contre la passivité masculine s’était érodé et les lois s’opposant aux rapports sexuels avec de jeunes citoyens étaient quasi ignorées (Saslow, 44). Beaucoup d’empereurs s’adonnaient à ces pratiques et à d’autres pulsions sexuelles. Auguste et Néron sont les deux qui viennent immédiatement à l’esprit – le dernier étant le plus célèbre. On raconte que l’empereur Tibère, qui régna de 14 à 37 ap. J.-C., installa une collection de tableaux, de sculptures érotiques et de manuels sexuels dans les pièces réservées à ses plaisirs dans sa retraite de l’île de Capri. Ils servaient d’« outils d’entraînement » pour son entourage de prostituées et son harem de jeunes garçons.
Hadrien entra dans la légende comme un empereur romain marié qui tomba passionnément amoureux d’un jeune Bithynien extraordinairement beau appelé Antinoüs. Au cours d’un voyage en Égypte en 130 ap. J.-C., Antinoüs se noya dans le Nil dans des circonstances mystérieuses. Égaré par sa mort et accusé par de nombreux écrivains romains de « pleurer comme une femme », Hadrien le déifia, fonda en Égypte une cité en son honneur (Antinopolis) et fit immortaliser sa beauté sensuelle en commandant de nombreuses statues, pièces de monnaie et médaillons qui furent répandus dans tout l’empire. L’histoire d’Hadrien eut lieu à une époque où l’amour mutuel dans le mariage hétérosexuel prenait de l’importance et où les relations homosexuelles semblaient limitées à des passions sexuelles pour de jeunes esclaves. En ce sens, la relation d’Hadrien avec Antinoüs renvoie à une période antérieure, celle de l’Athènes classique, dans la mesure où l’histoire est fondamentalement un écho dans le réel au mythe de Zeus et Ganymède – mythe Jupiter et Ganymède ou Catamitus qui fut adopté et apprécié par les Romains.
La plupart des statues créées pour immortaliser Antinoüs sont des éphèbes imberbes fortement influencés par l’art grec classique. Hadrien lui-même admirait tellement la culture grecque qu’il se laissa pousser la barbe pour ressembler aux philosophes grecs. Vers la fin de l’Empire romain, l’engagement dans des pratiques sexuelles de toutes sortes conduisit à une société de plus en plus débauchée et matérialiste qui allait peu à peu décliner et finalement disparaître. Des écrivains romains tels que Juvénal, Horace et Martial s’élevaient violemment contre les abus en matière sexuelle, mais ils étaient largement ignorés. La tolérance croissante envers l’homosexualité et d’autres formes de pratique sexuelle fut l’un des nombreux effets, mais non la cause, du déclin de l’influence et de la puissance de Rome.
35. Statue d’Antinoüs, favori de l’empereur Hadrien,
vers 130-138 après J.-C. Musée archéologique de Delphes, Delphes.
37. Trépied avec jeunes Pans ithyphalliques, vers le Ier siècle après J.-C.
Bronze de Pompéi. Museo Archeologico Nazionale, Naples.
38. Pan avec Hermaphrodite, règne de Néron. Fresque provenant de la maison
des Dioscuri à Pompéi (atrium). Museo Archeologico Nazionale, Naples.
Pompéi
Notre connaissance de l’art provincial et domestique romain, de l’architecture et des aspects de la vie quotidienne, vient principalement des cités de Pompéi et Herculanum qui furent toutes deux conservées sous la cendre après l’éruption du Vésuve en 79 après Jésus-Christ. Bien que Pompéi ne fût pas une cité romaine perse, elle était placée sous la juridiction de Rome. La civilisation pompéienne et son approche de la sexualité et de l’amour étaient une ramification de la Grèce hellénistique avec un accent particulier sur la sensualité et l’hédonisme sans les notions grecques antérieures de vertu, beauté et forme. La poterie, les graffiti et l’art mural découverts à Pompéi apportent la preuve qu’il existait là une subculture homosexuelle visible. Les Pompéiens étaient connus pour célébrer la sexualité comme source de force et de fertilité. À Pompéi, le culte de Dionysos et le culte du phallus étaient répandus et de nombreux murs présentent des sculptures ou autres décorations figurant des phallus en érection désincarnés (indiquant des bordels) et des scènes de rapports sexuels en groupe. Le phallus était tenu pour un symbole divin, associé à Hermès, dieu de la fertilité et de la bonne fortune. Il apparaissait souvent sur les sculptures, comme ornement de fontaine, ou détail de décoration architecturale. Les phallus furent découverts le plus souvent sur des hermès ou piliers rectangulaires surmontés d’une tête humaine, destinés à conjurer le démon et apporter la prospérité.
C’est sur les murs recouverts de fresques et de graffiti des bâtiments publics et dans les maisons particulières de Pompéi que nous trouvons un aperçu des préférences et des activités sexuelles de la culture courante. C’est au cours de la période d’Auguste qu’une « domestication du désir » est intervenue à la fois à Rome et dans ses provinces. Ainsi, la classe supérieure (y compris l’empereur lui-même), comme la classe inférieure, possédait et exposait dans les maisons de petits tableaux, des fresques et des objets décoratifs qui montraient des personnages de la mythologie (satyres, nymphes, Pan, hermaphrodites, etc.) et des couples humains pratiquant actes et positions sexuels divers (Clarke, 287–87). La représentation de la sexualité dans ses aspects multiples était devenue une mode à Pompéi. Au Ier siècle après Jésus-Christ, on trouvait à Pompéi des scènes d’amour de qualité diverse dans les chambres, les salles à manger, ou les bains publics, les hôtels et les bordels.
Les fonctions érotiques et le décor des édifices pompéiens, des maisons particulières aux bordels, étaient complétés par les arts décoratifs des intérieurs. De riches mécènes commandaient des pièces de vaisselle à boire et des plats en or et en argent, représentant toutes sortes de scènes, quelquefois érotiques, pour distraire les convives des banquets. L’exemple le plus frappant de ce genre d’art décoratif homo-érotique est la Coupe Warren. La Coupe Warren est une luxueuse coupe en argent fabriquée pour servir dans une maison provinciale du début de l’Empire romain. Elle a sans doute été utilisée dans des espaces architecturaux décoratifs spécifiques (de riches maisons particulières) dans lesquelles on a trouvé de la vaisselle portant des scènes d’amour (généralement hétérosexuel). Ces pièces devaient distraire les convives par leur imagerie séduisante et leur travail superbe (Clarke, 279). Par sa très grande qualité et son sujet unique, la Coupe Warren a invité « le spectateur moderne à examiner un large champ de questions artistiques, culturelles et sociales » concernant l’homosexualité masculine à l’époque romaine (Clarke, 277).