Abside, cathédrale Saint-Pierre, Beauvais, commencée en 1225
et rénovée en 1284 et en 1573 après son effondrement.
Le Système de construction gothique
L’ogive est la caractéristique extérieure la plus frappante du gothique. C’est la raison pour laquelle on nomme parfois le gothique « architecture ogivale ». Les conditions de son développement résultent de la nouvelle façon de construire les voûtes, laquelle a peu à peu remplacé la méthode romane, en opposant une construction de structures à une construction massive. De cette opposition est né le système de butée, qui a permis aux créations les plus audacieuses des artistes les plus fantaisistes de bénéficier d’une parfaite sécurité, et d’une extrême stabilité.
La voûte d’arêtes se dresse entre des arcs-doubleaux finissant en pointe. Elle est portée en diagonale jusqu’au point culminant de la voûte par une nervure, elle-même tenue par une clé de voûte. Comme ces nervures furent construites en pierre, les portions de voûtes ou voûtains, entre celles-ci et les arcs-doubleaux, n’eurent besoin que de légères structures de pierre pour tenir. Bien qu’à l’origine ces nervures possédassent une haute signification architecturale, elles devinrent, au cours du développement de l’art gothique, de simples objets décoratifs, si bien que leur nombre passa de deux à trois, voire à quatre. Ainsi, apparurent d’abord les voûtes à six ou huit nervures (voûtes en croisillon). Par la suite, les voûtains furent entourés de tellement de nervures, qu’apparurent les voûtes en étoile, les voûtes nervées, et finalement les voûtes en éventail, avec une clé de voûte profondément suspendue, telle qu’on peut fréquemment la rencontrer, à grand renfort de fantaisie, dans le style anglais.
La pression exercée par la voûte est transmise par les nervures de la voûte d’arêtes sur les piliers de la nef, qui supportaient également les arcs-doubleaux. Comme ces piliers ne devaient plus seulement supporter le poids principal, comme autrefois les murs, mais devaient notamment résister à la pression latérale de la voûte, ils furent renforcés non seulement dans leur structure propre, mais aussi au moyen d’une culée d’arcs-boutants, culée massive au niveau des murs extérieurs des bas-côtés de la nef, plus légère au niveau des murs supérieurs de la nef. Afin que cette culée remplisse totalement sa fonction, elle fut conduite par-dessus les murs et reliée aux piliers de la nef par l’intermédiaire des arcs-boutants. Ceux-ci assuraient la sécurité absolue de la construction. Afin de montrer que le système de construction gothique avait atteint, avec la culée d’arcs-boutants, son achèvement le plus total, elle fut complétée de fines tourelles pointues, les pinacles, qui reposaient sur une structure à quatre côtés, la meule, et se terminaient par une flèche pyramidale. Ces pinacles furent d’abord structurés et décorés comme les clochers principaux. Les arêtes des flèches furent parées de crochets et de figures en forme de bulbes ou de feuilles, puis finalement, leurs pointes furent couronnées de fleurons à quatre pétales.
C’est dans la cathédrale d’Amiens (Illustrations 1, 2) que l’on perçoit au mieux le jeu des voûtes, des piliers et des arcs-boutants. Les parois de la nef ne forment jamais une masse fermée, car le gothique ne privilégie pas les vastes surfaces et veut mettre à nu le squelette du bâti. De même que les parois inférieures de la nef sont interrompues par des arcades pointues, les parois supérieures, sous les fenêtres, le sont par le triforium, un étroit passage ouvert à travers les arcades, contre la nef. Les piliers sont également conçus de manière totalement différente du roman, étant donné qu’ils remplissent une toute autre fonction. Des colonnes en demi ou en trois-quarts, placées devant un noyau cylindrique, portent, dans l’axe longitudinal des arcades, ainsi que dans l’axe transversal, à la fois les voûtes des bas-côtés de la nef, et celles de la nef. C’est ainsi qu’est apparu le pilier fasciculé, qui compte parmi les innovations essentielles du gothique. Ce nouveau type de pilier est certes maintenu solidairement avec le chapiteau, mais ce chapiteau, formé d’une couronne de feuillages, ne constitue plus le sommet du pilier. Les colonnes en trois-quarts surplombent le tailloir, afin de relever les arcs-doubleaux et les nervures de la voûte. Du fait de cette fonction portante, on a nommé ces piliers, jeunes ou vieilles servantes, en fonction de leur volume.
Girart de Roussillon, Chanson de geste : chantier,
seconde moitié du XVe siècle. Nationalbibliothek, Vienne.
Déambulatoire, église Saint-Denis
(ancienne église abbatiale bénédictine), Saint-Denis, entre 1140 et 1144.
Façade occidentale, église Saint-Denis
(ancienne église abbatiale bénédictine), Saint-Denis, avant 1140.
Parmi les apports du gothique, il ne faut pas omettre l’introduction des rinceaux, traités et ornementés dans un style naturaliste, ce qui constituait une rupture avec la façon moyenâgeuse très austère de réaliser des ornements. Cette innovation s’est montrée très fructueuse, et a provoqué un renouvellement certain de ce sempiternel décorum empreint de nostalgie antique. Une ardeur générale à découvrir la nature et à la louer est apparue dans le cœur de l’homme du Moyen Âge, à la suite des troubadours et de la poésie didactique bourgeoise, et cette ardeur a rencontré un écho chez les tailleurs de pierre, qui ont mis leurs marteaux et burins au service de la représentation des feuillages et plantes qui leur étaient familiers. Après les feuilles de chêne, de lierre, d’érable ou de vigne, venaient les quelques fleurs qui leur étaient les plus chères. Cette ornementation, qui fut encore enrichie par des mises en couleur très naturelles, ne se retrouvait pas seulement sur les chapiteaux, mais aussi sur les corniches, les parois des portes et autres encadrements. Au fil de son développement cependant, le gothique abandonna peu à peu l’imitation de la nature, et les formes ornementales, désormais bien maîtrisées, furent reproduites à l’infini et souvent sans réfléchir, jusqu’à ce que bourgeons et tubercules, tant ils étaient bâclés, ne donnent du souvenir de la réalité naturelle qu’un pâle reflet.
Il en fut de même pour les montants et les traverses que l’on utilisait pour diviser les ouvertures de fenêtres et les isoler de l’extérieur. Il s’agit, à l’origine, d’un simple barreaudage métallique avec un montant de pierre, le meneau ; mais ce système d’ornementation des fenêtres se développa en véritable art décoratif. À l’intérieur de l’ogive qui entourait la fenêtre, se dressaient, depuis le rebord de celle-ci, des barreaux de fer qui séparaient l’espace en six ou sept parties différentes, elles-mêmes en forme d’ogive. Entre l’ogive que formait l’encadrement de la fenêtre et les petites ogives formées par les barreaux, l’espace libre fut rempli par des œuvres de tracerie, un assemblage de pierres taillées en cercles ou parties de cercles, formant une ligne circulaire fermée, souvent géométrique et d’une extrême diversité. Ces cercles et parties de cercles formaient des toiles, qui au début avaient la forme de trèfles à trois ou quatre feuilles. Par la suite, ces feuilles de trèfles furent développées à six, sept ou huit feuilles. Les voûtes extérieures des fenêtres furent surélevées de pignons, appelés gâbles, dont les arêtes très obliques étaient moulurées de crochets avant de se rejoindre sur le motif d’un fleuron. Le tympan du gâble était également orné de tracerie. C’est avec les fenêtres rondes, les fameuses rosaces, généralement ouvertes au-dessus des portes centrales de la façade ouest, entre les tours, et qui constituaient l’essentiel d’une superbe décoration, c’est avec ces rosaces que la tracerie connut le sommet de son art. Particulièrement célèbre est la rosace de la cathédrale de Strasbourg.
Contrairement à la technique de construction, l’organisation des espaces – le plan-masse – constitue l’une des innovations les moins décisives et les moins porteuses de bouleversements que le gothique a transmises. Il a repris, hormis quelques détails, le modèle de la basilique romane, à savoir une forme en croix, à l’exception près que les bras du transept ne passaient pas forcément par les murs latéraux de la nef. À l’époque du gothique tardif, on renonça même souvent à la construction d’un transept. La nef comprenait généralement deux bas-côtés, qui furent portés à quatre à l’apogée du gothique. C’est la cathédrale de Cologne (Illustrations 1, 2, 3) qui reste le témoin le plus frappant de cette époque.
Il n’y a que dans l’élaboration du chœur que le gothique a ouvert de nouvelles voies. Comme l’on cessa de construire des cryptes, le chœur ne fut plus séparé de la nef, mais véritablement conçu comme son prolongement. De même, l’abside abandonna sa forme arrondie pour épouser des formes plus polygonales. Si les bas-côtés de la nef conduisaient au chœur, alors apparaissait le déambulatoire, ce dont le gothique français ne réussit pas à se satisfaire. Il entoura donc le chœur, en plus du déambulatoire, d’une multitude de chapelles, dites chapelles rayonnantes, qui mettaient le chœur, au centre du projet, incontestablement en valeur. Même les concepteurs de la cathédrale de Cologne ont repris le principe des chapelles absidiales. Qu’il s’agisse de nouvelles constructions gothiques ou de transformations d’anciennes constructions romanes, c’est toujours le chœur qui faisait l’objet des premiers travaux. En effet, l’installation de l’autel et celle du prêtre suffisaient à remplir les fonctions sacrées du lieu ; c’est ainsi que les concepteurs faisaient preuve de beaucoup de zèle pour l’aménagement du chœur. Le zèle déployé à aménager et à décorer le chœur, en contraste souvent flagrant avec la nef, s’explique aussi pour des raisons financières. En effet, au début des travaux, l’église dépensait sans compter. Ce n’est que plus tard, lorsque les finances avaient besoin d’être renflouées, et que l’on mettait les bourgeois à contribution, que les flux financiers étaient soumis à beaucoup plus de contraintes politiques. Un autre témoignage de cette épreuve financière est souvent porté par la différence, toute aussi flagrante, de richesses déployées au décorum de chacun des bas-côtés de la nef. Il est, de fait, très rare de rencontrer des monuments gothiques parfaitement symétriques, alors que leur esprit profond en était empreint : cette symétrie ne se rencontre que dans ces monuments que l’on a achevé de construire au XIXe siècle.
Si une église gothique était tellement avancée dans sa construction que seule la façade de la nef restait à construire, on peut dire que l’instinct artistique ne démordait jamais, même en dépit de conditions parfois défavorables. Tous les architectes de l’époque gothique ont fait le vœu d’offrir à la maison de Dieu une touche définitivement somptueuse au moyen de deux clochers majestueux ; et s’il ne devait y en avoir qu’un seul, celui-ci se devait d’être encore plus haut. Mais il n’a pas été permis à tous de mener à bien leurs travaux comme ils le souhaitaient, ou encore de voir, de leur vivant, les travaux terminés. Pendant les longs et laborieux travaux sur les clochers, dont les techniques se transmettaient d’un artiste à l’autre, il arrivait que les travaux voient leur cours se ralentir à l’infini, la générosité du donateur s’orientant vers d’autres buts, particulièrement à partir du XVIe siècle. Le successeur cherchait toujours à surmonter son prédécesseur, indépendamment du contexte et sans forcément d’égard pour l’unité organique de la façade telle que l’avait pensée le premier concepteur. Le meilleur exemple de ce genre de circonstances, où l’égoïsme des artistes a sacrifié la cohérence, est certainement fourni par la cathédrale de Strasbourg, pour laquelle le clocher nord, construit indépendamment du reste, présente un contraste radical avec la façade. Considéré en soi, ce clocher est un chef-d’œuvre, dont personne ne voudrait se priver, même au prix d’une régularité absolue du bâtiment.
Il se pourrait bien que les architectes du gothique tardif aient ressenti la règle de symétrie comme une contrainte que leur fantaisie libérée a cherché à faire céder. C’est la seule façon d’expliquer certaines différences, que l’on rencontre souvent, comme par exemple le traitement différencié d’une même façade, ou celui de deux clochers jumeaux, qui, bien qu’ayant été commencés en même temps, ont néanmoins été achevés l’un après l’autre. Bien sûr, richesse des décors et position sur la frise historique ne vont pas forcément de pair, chaque époque ayant nécessité, de la part des artistes, qu’ils agissent dans l’urgence ou dans la facilité. Mais il n’en demeure pas moins que le gothique tardif se caractérise par un penchant puissant pour la peinture, pour la libération des contraintes et des règles, pourtant d’abord érigées dans un souci mathématique. Pris dans l’euphorie de leur création, qui les poussait naturellement vers l’avenir et non vers le passé, les artistes n’ont pas eu conscience que leurs agissements contribuaient tout simplement à signer l’arrêt de mort du gothique.
La fantaisie et l’audace dans lesquelles les plans des maîtres gothiques se sont fourvoyés, est devenu un phénomène évident, depuis la construction des clochers de la cathédrale de Cologne (Illustrations 1, 2, 3), lesquels ont été portés à la hauteur non négligeable de 156 mètres, certes longtemps après le début des travaux, mais selon les plans initiaux, soit vingt mètres de plus que la pyramide de Khéops. Les architectes français se sont comportés de même pour ce qui concerne la cathédrale de Rouen (Illustrations 1, 2), dont le lanterneau atteint la hauteur considérable de 151 mètres. Plus haut encore visait Matthias Böblinger, architecte de la cathédrale d’Ulm, qui, avec 161 mètres envisageait de monter le plus haut clocher jamais construit. L’exemple du clocher de Strasbourg, haut de plus de 142 mètres, montre à quel point les architectes des débuts du gothique auraient pu atteindre les résultats de leurs successeurs, s’ils avaient bénéficié des mêmes moyens techniques et financiers. Juste après le clocher de Strasbourg, sont à signaler, parmi les constructions précoces, les clochers du Stephansdom de Vienne, et celui de la cathédrale de Fribourg, avec respectivement 137 et 125 mètres de hauteur.
Les clochers surplombant les façades ouest ont rarement atteint des sommets de raffinement artistique à la hauteur de l’ensemble, car la façade ouest en elle-même a toujours constitué la partie la plus remarquable de l’ensemble du bâtiment. C’est sur la façade ouest que les artistes, quelle qu’ait pu être leur nationalité, se sont efforcés d’exprimer leur talent avec le plus de brio. La règle était que, sur l’une des façades qui étaient relevées de deux clochers, l’on devait insérer trois portes, qui correspondaient à la nef et à ses deux bas-côtés. Au-dessus de la porte centrale, toujours la plus richement agrémentée, s’élevait généralement un pignon, sensé caractériser la nef. Sa partie visible était toujours fortement décorée et, sur les églises anglaises et françaises, les décors redoublaient de raffinements architecturaux et plastiques, s’étalant sur toute la longueur de la façade ouest.
Erwin von Steinbach, Façade occidentale (détail),
cathédrale Notre-Dame, Strasbourg, commencée en 1176.
Les Monuments gothiques
Avec les croisades, les échanges entre les peuples d’occident – notamment les échanges artistiques – n’ont cessé de s’amplifier. C’est de ce commerce mondial, bien plus que de ses seuls atouts architecturaux, que le gothique – et particulièrement son expansion – sont redevables. Les artistes et maîtres d’œuvre français ont semé les premières graines en Angleterre et en Allemagne ; puis d’Allemagne, ces graines ont porté leurs fruits dans l’Europe de l’Est, du Nord et du Sud. Fréquemment bien sûr, les élèves ont dépassé leurs maîtres, mais il n’en demeure pas moins que le berceau du gothique se situe en France.
L’Architecture gothique en France
L’Église abbatiale de Saint-Denis
Il faut remonter au XIe siècle pour découvrir le commencement des innovations ayant introduit les principes du gothique en France. C’est avec le chœur de la basilique de Saint-Denis (Illustrations 1, 2), construit entre 1130 et 1140, dans les environs de Paris, par le politicien et abbé Suger, que ces innovations ont formé un système, puisque ce chœur contient tous les éléments du gothique, depuis les arcs en ogives, les systèmes de butée, jusqu’aux voûtes nervées. À ce titre, l’église de Saint-Denis fait office d’élément fondateur du gothique. La façade avec ses deux clochers, construite entre 1137 et 1140, la structure verticale en trois parties, montée sur des contreforts saillants, la petite rosace, ainsi que les clochers, montés à partir de 1144, portent singulièrement le gothique en eux. L’absence de mur de séparation entre les absidioles entretient un sentiment d’espace très harmonieux et très nouveau pour l’époque – précurseur de la profondeur des cathédrales qui seront construites plus tard – tandis que la rosace fait ici son apparition pour la première fois. La partie supérieure du chœur et la nef datent, quant à eux, de la période courant entre les années 1231 et 1281.
Tandis que l’église abbatiale de Saint-Denis – et d’autres bâtiments construits à la même époque – sont les représentants du premier stade, qu’on peut qualifier de stade préparatoire de ce nouveau style, Notre-Dame de Paris (Illustrations 1, 2, 3, 4) et la cathédrale de Laon constituent une rupture définitive avec le roman.
La Cathédrale Notre-Dame de Paris
C’est en effet avec la construction de Notre-Dame de Paris (Illustrations 1, 2, 3, 4), qui commence en 1163, que le gothique français fait montre, pour la première fois, d’un parfait achèvement. Jusqu’à la fin de sa construction, au XIIIe siècle, elle aura servi de modèle à la plupart des cathédrales françaises. C’est la façade qui présente les caractéristiques les plus marquantes, en ce qu’elle se dresse sur trois étages nettement séparés par des structures horizontales : au-dessus des portes, la galerie des rois (ainsi nommée parce que cette arcade est ornée de statues des rois d’Israël), et au-dessus du deuxième étage, une galerie ouverte. Cette forte accentuation de la ligne horizontale, qui contredit les principes fondateurs du gothique, ne se retrouve que dans le gothique français. Ceci explique, partiellement, la raison pour laquelle certains clochers sont en France demeurés inachevés, les maîtres d’œuvre n’ayant pas, pour de multiples raisons, réussi les finitions. Lorsque les artistes français eurent reconnu leur contradiction, l’élément intime du gothique, à savoir cette tendance à la verticalité, n’eut plus la possibilité de s’harmoniser avec une quelconque structure horizontale, héritage de l’époque romane. Parmi leurs œuvres, il en est encore beaucoup dont le charme artistique réside dans la riche structure des façades.
La Sainte-Chapelle à Paris
La Sainte-Chapelle (Illustrations 1, 2), située dans la cour du palais de justice, constitue certainement, avec ses vitraux incroyablement beaux et reflétant une lumière tellement particulière, la création du gothique français la plus riche et la plus aboutie, un véritable joyau de l’architecture gothique rayonnante. Si l’on considère sa luminosité parfaitement gracieuse et son étroitesse, alors la Sainte-Chapelle peut servir de point d’étape vers le gothique classique. C’est afin de recevoir des reliques ramenées de Terre Sainte entre 1243 et 1251, que Saint Louis la fit construire, sous la forme de double chapelle, par Pierre de Montreuil, qui est aussi l’auteur de la façade ouest de la cathédrale Notre-Dame de Paris. La chapelle était constituée d’une basse église à deux bas-côtés et d’une haute église sans bas-côtés. Son ossature n’est faite que de minces piliers, entre lesquels de sublimes vitraux ont remplacé les murs. L’espace supérieur, conçu comme une chasse monumentale destinée à recevoir les reliques, était en fait la chapelle royale, alors que l’espace inférieur accueillait le personnel du palais.
L’Église Saint-Germain l’Auxerrois à Paris
Les règles les plus strictes furent aussi respectées pendant le gothique tardif, comme le montre l’église de Saint-Germain l’Auxerrois à Paris, dont le clocher ne fut pas relié à l’église, mais, selon le vieux modèle chrétien des campaniles, érigé indépendamment du bâtiment. C’est de ce campanile que fut lancé l’appel à poursuivre et à massacrer les huguenots, la nuit de la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572.
La Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg
Alors qu’aucune information ne nous est parvenue au sujet du maître d’œuvre de la Sainte-Chapelle de la cathédrale de Fribourg, celui de la cathédrale de Strasbourg a laissé quelques traces à la postérité (Illustrations 1, 2, 3, 4). Erwin von Steinbach fut reconnu, à vrai dire à tort, comme étant l’unique maître à l’origine de la création de la façade. Certes, il est fondé de dire qu’il a grandement participé à l’élaboration de l’œuvre ; quant au fait qu’il soit originaire de Steinbach, dans le Baden, cela ne repose sur aucun document. Bien qu’il soit héritier du gothique français, il a très largement dépassé ses maîtres à penser, aussi bien en ce qui concerne l’audace de l’architecture, qu’en ce qui concerne la somptuosité des ornements. Bien qu’enfin son fils, après sa mort, ait repris le flambeau et poursuivi, jusqu’en 1339, les plans paternels, la cathédrale ne fut bâtie en vertu de ses plans que jusqu’au deuxième étage. C’est pourquoi l’harmonie parfaite ne peut être ressentie que dans la partie basse de la façade, notamment entre les rosaces et les étages, travaillés très librement, comme un tissu rare. À partir du troisième étage donc, on a commencé à prendre avec le plan d’Erwin une certaine liberté, jusqu’à le laisser complètement de côté lorsqu’il s’est agi de construire le clocher. Celui-ci doit son érection à Johannes Hütz, maître à Cologne, qui a monté la flèche entre 1419 et 1439. Ce clocher est une œuvre en soi qui se suffit à elle-même, qu’il s’agisse de sa beauté ou de sa hauteur, laquelle a largement dépassé celle du clocher de Fribourg. Depuis lors, la construction de la cathédrale de Strasbourg n’a consisté qu’à monter des étages ; personne n’a plus osé s’attaquer au clocher sud.
C’est dans la baie sablonneuse du Mont Saint-Michel en Normandie que s’élève, come un fortin, ce formidable cloître du même nom, à 160 mètres au-dessus de la mer. Ce qui frappe particulièrement est l’harmonie totale de cette île avec l’environnement naturel qui l’entoure. À marée basse, l’île est même accessible à pied ! L’apparition en 709 de l’archange Michel à l’évêque d’Avranches serait à l’origine de la construction ; ledit évêque est certainement plus tard passé à la postérité comme saint Aubert. Une seule route, mène à l’abbaye, dont la construction commence sous l’emprise du roman, en 1022. Au fil des siècles, la construction a été constamment complétée avec des créneaux, des pinacles, des contreforts et un mur d’enceinte, jusqu’à ce que l’on érige le clocher, haut de 87 mètres. Au XIIIe siècle, les moines bâtirent l’aile nord, appelée la « Merveille », reposant sur 220 colonnes de granit, ornées de sculptures et d’inscriptions gothiques. Le dortoir se trouve au premier étage, le magnifique calvaire, de 25 mètres de long et 12 de large se trouve au deuxième étage. Tous deux, comme le réfectoire et la salle des chevaliers, datent du XIIe siècle.
La Cathédrale Notre-Dame d’Amiens
Les cathédrales de Reims (Illustrations 1, 2, 3) et d’Amiens représentent le sommet du gothique français, aussi bien pour la technique de construction que pour l’ornementation. Elles ont certainement atteint et dépassé toutes les capacités d’imagination des hommes de l’époque ; la cathédrale d’Amiens (Illustrations 1, 2) dispose même de la plus grande nef de France. Robert de Luzarches fut le premier architecte de ce chef-d’œuvre, comme le stipule son nom inscrit en médaillon dans le labyrinthe réalisé en 1288. On ne sait toutefois pas pendant combien de temps il a pris part à la construction, mais on lui doit l’ensemble des techniques essentielles et des innovations, tant techniques que stylistiques, comme par exemple la disposition d’armatures de fer dans les murs, ou la fabrication en série des décors. Si la grosse part du bâtiment fut terminée au XIIIe siècle, son achèvement définitif s’étend jusqu’au XIXe siècle, lorsque fut terminée la tour sud, sous la direction de Viollet-le-Duc.
Chœur, cathédrale Saint-Pierre, Beauvais, commencée en 1225
et rénovée en 1284 et en 1573 après son effondrement.
Trois Rois et une reine de l’Ancien Testament, piedroits du portail ouest,
dit Portail Royal, cathédrale Notre-Dame, Chartres, vers 1194-vers 1233.
La Cathédrale Notre-Dame de Chartres
Il s’agit d’un des plus beaux monuments du gothique français, avec une longueur de 130 mètres, des croisées d’ogives de 37 mètres, un clocher du XIIe de 105 mètres et un autre, datant du XVIe siècle, de 115 mètres de hauteur (Illustrations 1, 2, 3, 4, 5). Grâce aux nouvelles techniques de construction, qui exonèrent les murs de leur fonction portative, ceux-ci peuvent être construits avec moins d’épaisseur et être interrompus par des vitraux, dans le fameux bleu de Chartres, ou par des rosaces. Comme l’on a renoncé à la galerie du deuxième étage mais que l’on a conservé le triforium, un troisième étage fut monté, doté d’une architecture simplifiée.
Avant l’érection de la cathédrale, on dénombrait pas moins de cinq églises situées sur ce même lieu. Toutes ont sombré dans les flammes. La cathédrale, commencée en 1194 sur les fondations d’une basilique romane et terminée vers 1233, devint la plus ancienne des constructions religieuses de la ville mais aussi, à bien des égards, la plus austère. Elle ne fut consacrée qu’en 1260, en présence de Saint Louis. Elle a dépassé les cathédrales de Reims (Illustrations 1, 2, 3) et d’Amiens (Illustrations 1, 2) en ceci que ses clochers, bien qu’irréguliers, ont été terminés très tôt. Elle constitue le premier exemple du gothique classique. C’est également ici que, pour la première fois, on a remplacé des fresques par des vitraux, ce qui constitue un trait caractéristique du gothique.
La Cathédrale Notre-Dame de Reims
Commencée par Robert de Coucy en 1211 et terminée en 1250, la cathédrale de Reims est une des créations les plus réussies de l’art gothique, ainsi que la plus stupéfiante affirmation de l’austérité du protogothique (Illustrations 1, 2, 3). Commencée en 1210 sur les ruines d’une église victime un an auparavant d’un incendie, elle devait, bien sûr, être plus belle que la cathédrale de Chartres (Illustrations 1, 2, 3, 4, 5). C’est ici que les rois français, seraient, à grand renfort de magnificence, couronnés et bénis. Au XIVe siècle, la cathédrale connaît sa dernière finition. Le caractère le plus marquant de la cathédrale est certainement sa façade ouest, ornée de reliefs, superbes exemples de sculpture gothique. Les deux clochers de 81 mètres devaient à l’origine être relevés de flèches, ce qui les portait à 120 mètres.
La Cathédrale Notre-Dame de Rouen
Le type de cathédrale construit à Paris s’est peu à peu imposé dans le Nord et le Sud de la France, en Normandie et dans le Languedoc, avec bien-sûr la prise en compte d’éléments locaux. Dans l’ancienne capitale normande, qui a vu naître plusieurs personnalités historiques, la cathédrale, construite sur les fondations d’une cathédrale romane, a vu le jour sous la conduite de plusieurs architectes qui ont œuvré à partir de 1145 (Illustrations 1, 2). Les dimensions sont assez impressionnantes : 144 mètres de long, 82 mètres de haut pour la tour Saint-Romain, 75 mètres pour la tour Beurre et 51 pour la tour Lanterne.
La Cathédrale Sainte-Cécile d’Albi
De l’extérieur, la cathédrale d’Albi, que l’on peut voir de loin du fait de sa localisation sur les hauteurs de la ville, ressemble plutôt à une fortification, et nous remémore volontiers les fortins romains. Commencée en 1282, elle est achevée au XVIe siècle, mais elle fait déjà montre de toutes les caractéristiques du gothique tardif français, qu’il s’agisse des décors de la porte ou de son intérieur. Elle est typique du sud de la France, et de ce qu’on appelle les églises-halles. Du fait du commencement des travaux pendant l’Inquisition, qui a semé la mort et la torture, elle détient le surnom de cathédrale de la haine. Les principes gothiques de construction y ont été complètement négligés ; la débauche d’ornements, particulièrement dans les échancrures de la tracerie, du fait des ressemblances avec des flammes vacillantes, ont valu au gothique tardif français le nom de style flamboyant.
Le Palais des Papes à Avignon
Des septs papes qui ont résidé à Avignon, seuls quatre (Clément V, Benoit XII, Clément VI, Urbain V) s’en sont tenus aux règles strictes de leur Ordre. Les autres (Jean XXII, Innocent VI et Grégoire XI) ont mené une vie très laïque. Clément VI, qui aimait particulièrement le luxe, réussit à vendre la ville pour 80 000 florins d’or à Jeanne des Beaux, comtesse de Provence et reine de Naples, alors accusée d’avoir tué son époux. De cette transaction, la comtesse obtint la bénédiction papale et fut lavée de toute culpabilité. Jusqu’à cette date, le Palais des Papes était demeuré identique à ce qu’il était lorsqu’il n’abritait que des évêques : une sorte de fortification qui surplombe Avignon. Lors de l’élection du pape Jean XXII en 1316, celui-ci commença l’élargissement du site, qui fut terminé avec le Palais Vieux, réalisé sous Benoît XII et avec le Palais Nouveau, que l’on doit au Pontificat de Clément VI, qui avait un goût prononcé pour les belles choses. Au terme de l’ensemble de ces chantiers, ce haut lieu gothique s’étend sur une surface de plus de quinze mille mètres carrés.
Couronnement de la Vierge, portail central, transept nord,
cathédrale Notre-Dame, Chartres, vers 1194-vers 1233.
L’Architecture gothique en Angleterre
La Cathédrale de Canterbury
La finesse du gothique primaire a laissé en Angleterre une marque indélébile, et lorsqu’en 1174 l’église principale de Canterbury sombre dans les flammes, c’est à Guillaume de Sens que l’on fait appel pour la reconstruire (Illustrations 1, 2). La partie est est la première œuvre de style gothique français. Comme l’on ne put se décider à suivre totalement cette direction, l’on se contenta d’abord d’adapter les formes et les méthodes gothiques à des plans de constructions typiquement romans, ou d’adapter des formes romanes à l’esprit gothique. Les Anglais étaient particulièrement sensibles aux ornements extérieurs, tant et si bien que l’essentiel, à savoir les dispositions constructives, demeurait en second lieu. C’est ici qu’il convient de chercher les éléments qui ont permis au gothique anglais de suivre cette voie si particulière. Les dispositions constructives de tradition romane-normande furent pour l’essentiel conservées, tandis que les formes gothiques furent utilisées à titre d’ornement. Unité, contexte et dynamique entre construction et décoration, font ainsi défaut au Early English. La ligne horizontale domine, contrairement à l’esprit gothique. Des piliers libres remplacent les piliers ronds, les ogives sont extrêmement étroites, les lancettes, les voûtes, permettent l’introduction des liernes, puis des voûtes en étoile. En ce qui concerne les décors, les motifs étroits et fins seront utilisés à l’envi, souvent exagérément. Ce style s’est toutefois répandu extrêmement vite, preuve qu’il correspondait exactement aux attentes des habitants. Mais cela a aussi entraîné une certaine uniformité des bâtiments, qui contraste avec ce qui s’est produit en France.
La cathédrale de Canterbury est un exemple parfait de cette époque marquée par le style perpendiculaire.
L’Abbaye de Westminster
Cette abbaye est le dernier travail de Guillaume de Sens à Londres (Illustrations 1, 2). Lorsqu’il débuta en 1245, la pratique du gothique anglais était déjà bien établie et ses caractéristiques résidaient dans le chœur, qui était droit en son fond et dépourvu de chapelles absidiales, mais qui trouvait souvent sa continuation avec la Lady Chapel, de forme rectangulaire. Au-dessus de la croisée du transept se trouvait une imposante tour carrée, là où les Français avaient l’habitude d’ériger la tourelle du transept. La composition entre tendances verticales et horizontales est typique, et se manifeste bien avec la croisée de transept. Typique est également la forme des voûtes, qui ont fini par se décliner sous diverses formes très poussées (nervées, en étoile, ou en éventail, avec une clé de voûte suspendue vers le bas).
La Cathédrale de Salisbury
Située dans le comté de Wiltshire, à proximité des monuments mégalithiques d’Avebury et de Stonehenge, cette cathédrale peut être considérée comme la plus pure des créations Early English (Illustrations 1, 2). Horizontalité et verticalité s’y trouvent mélangées avec harmonie, et les ornements gothiques sont utilisés sans aucun lien avec la structure, en tant que simples éléments décoratifs. Commencée en 1220 et terminée en 1258, la cathédrale possède le plus haut clocher d’Angleterre, qui atteint 123 mètres. Celui-ci a toutefois été construit plus tard, au début du XIVe siècle. Le maître d’œuvre ayant surestimé la résistance des fondations, celles-ci ont dû, ultérieurement, être renforcées. La cathédrale de Salisbury a servi de modèle à nombre d’églises – Wells (Illustrations 1, 2, 3, 4), York, Lincoln, Southwell, Beverley, Rochester, Peterborough, du moins pour ce qui concerne leurs parties les plus anciennes.
Annonciation et Visitation, piedroits du portail central, façade occidentale,
cathédrale Notre-Dame, Reims, commencée après 1211.
La Cathédrale de Lichfield
Garnie de sculptures et prise entre deux hauts clochers, la façade de la cathédrale de Lichfield constitue, avec celle de York, un des plus beaux exemples du gothique anglais. Elles constituent en effet les plus importants modèles de ce style très riche et très ornementé, apparu au milieu du XIIIe siècle : le decorated style ou gothique curvilinéaire, qui a constitué, pendant encore un bon siècle, le courant dominant. Comme l’indique son nom, les éléments constructifs n’occupent qu’une place secondaire derrière les éléments décoratifs, lesquels occupent tous les éléments du bâti. La fantaisie des tailleurs de pierre et des artistes a eu libre cours, et le résultat en est particulièrement perceptible pour les œuvres de tracerie, dont les lignes offraient un mouvement glissant et oscillatoire.
Pendant toute cette période du decorated style, qui court de 1250 à 1370, la fantaisie et la richesse de la décoration sont les caractéristiques essentielles des édifices religieux. La tracerie devient de plus en plus fine, et c’est à peine s’il demeure une fenêtre ou une paroi qui ne soit pas décorée, les arêtes des voûtes se couvrent d’ornements et se rejoignent, formant des voûtes en étoile, des voûtes nervées ou des voûtes d’ogives.
La ville d’Ely, entourée des hautes terres de Moorland, encore isolée de la terre ferme dans les temps anciens, est dominée par l’imposante cathédrale qui se dresse dans le paysage. Elle appartient au patrimoine du gothique curvilinéaire, dont elle est un joyau. Commencée en 1109, la cathédrale a été construite sur les ruines d’une abbaye détruite par les Normands et consacrée à sainte Etheldreda. Au XIIe siècle, la construction fut rattachée à un cloître de bénédictins. La nuit du 22 février 1322, le clocher s’effondra et fut remplacé, selon les plans d’Alan of Walsingham, par une tour unique en son genre, de forme octogonale, appelée « Couronne d’Ely ». Cette innovation, ainsi que la Lady Chapel rattachée à la partie nord du transept, avec ses baldaquins de fer, constituent le sommet du decorated style.
Les Cathédrales de Bristol et de Wells
Les cathédrales de Bristol et de Wells constituent aussi des symboles du style anglais (Illustrations 1, 2, 3, 4). À l’exubérance du decorated style, font suite, de 1350 à 1520, les formes strictement géométriques et verticales du style perpendiculaire. Ce style est typiquement anglais ; entretemps, dans le reste de l’Europe s’était développé le style flamboyant. Le style perpendiculaire tient son nom des meneaux verticaux (les montants) qui structurent de hautes et larges fenêtres sur les murs, donnant l’impression d’une grille. Autre élément caractéristique, les voûtes en éventail, et un peu plus tard, les lancettes, les accolades, et l’arc de Tudor, relativement plat, qui rendait possible l’ouverture de fenêtres extrêmement élargies, généralement sur la façade est. Les arcs en ogive furent emboîtés en champs rectangulaires.
La Cathédrale de Gloucester
La première fois que le style perpendiculaire fit son apparition, dans la première moitié du XIVe siècle, ce fut dans l’ancienne abbaye bénédictine de Gloucester (Illustrations 1, 2). Lors de la reconstruction du chœur, furent montées des formes rectangulaires, typiques de ce style. La fenêtre est, garnie de généreuses traceries formant barreaudage, est la plus grande d’Angleterre. Typique également, la voûte en éventail du calvaire.
Cependant, le chef-d’œuvre de cette époque est sans aucun doute la chapelle du King’s College à Cambridge, commencée en 1446.
La Cathédrale de Winchester
Pour contrer ce mouvement qui plaçait la richesse des décors au premier plan et qui, en fin de compte, semblait peu correspondre à l’esprit anglais, une mouvance, porteuse de plus de modestie, se développa à partir du XIVe siècle et fut à l’origine de la construction de la cathédrale de Winchester. Pour la première fois, le style perpendiculaire – qui tient son nom des meneaux en forme de barreaudage, qui ont remplacé la tracerie, principalement au droit des fenêtres – eut l’occasion de connaître un plein accomplissement. Caractéristique est aussi l’utilisation de nouvelles formes d’arcs, les accolades ou bien les arcs plats, dits arcs de Tudor.
En dépit d’un retour à une formation plus droite des traceries, la richesse de la décoration interne ne fut nullement amoindrie : elle fut simplement circonscrite en certains espaces plus petits, aux salles du chapitre construit contre la cathédrale, aux cloîtres et aux plus petites chapelles. La chapelle Henry VII, adossée au chœur de l’abbaye de Westminster, constitue le bâtiment le plus mémorable de ce gothique tardif anglais. Construite à Londres entre 1502 et 1526, elle témoigne, par l’élévation des voûtes, du sommet que l’art décoratif gothique a atteint.
La Cathédrale Saint-Pierre à Exeter
Comme cela est souvent le cas dans l’architecture moyenâgeuse, la magnifique cathédrale d’Exeter témoigne d’un mélange des styles, fruit d’un étalement des travaux sur de très nombreuses années (Illustrations 1, 2). Tandis que les deux clochers typiquement normands datent du XIIe siècle, la façade ouest fut construite au XVe siècle sous l’emprise du style perpendiculaire. La cathédrale fut agrandie et transformée de 1270 à 1369 en un monument gothique, avec l’ajout d’une Lady Chapel et d’un presbytère à l’est. De l’époque normande, ne demeurent que les deux clochers de croisée de transept. Particulièrement digne d’intérêt, la façade ouest est décorée d’une fresque dans sa partie inférieure.
Les Bâtiments gothiques civils
Il est aussi à noter l’érection d’un certain nombre de bâtiments profanes de pur gothique, du fait de la prospérité croissante des milieux bourgeois anglais. À titre d’exemple, on peut citer les universités d’Oxford et de Cambridge ou encore le Westminster Hall, construit de 1393 à 1399, par un maître d’œuvre dont l’histoire n’a pas retenu le nom, le château de Winchester (1232-1240), dont il ne reste que la grande salle, et le Hampton Court Palace, commencé en 1510. À noter encore un certain nombre de châteaux et de manoirs, ainsi que la fameuse Tour de Londres, commencée dès 1078, mais de nombreuses fois agrandie et complétée, et qui fait partie depuis 1988 du patrimoine mondial de l’UNESCO.
L’Architecture gothique en Allemagne et en Autriche
Au titre des plus anciens monuments gothiques allemands, les principaux sont le chœur de la cathédrale de Magdebourg, dont la construction a commencé en 1208, la Liebfrauenkirche de Trèves, construite entre 1227 et 1243, ainsi que l’Elisabethkirche de Marbourg, érigée entre 1235 et 1283. Ces édifices religieux sont remarquables en ce qu’ils ne constituent nullement une imitation passive des innovations venues de France, mais qu’ils présentent bel et bien une adaptation toute personnalisée des formes étrangères. Ainsi le chœur de la cathédrale de Magdebourg, présente, en dépit d’un plan-masse très français, avec déambulatoire et chapelles rayonnantes, des traits tout à fait nationaux, appliqués dans les moindres détails, et qui sont devenus, au fur et à mesure que progressaient les travaux de la nef – consacrée en l’an 1363 – de plus en plus frappants. Il en va de même pour les deux tours, qui, terminées en 1520, sont porteuses de caractéristiques très allemandes.
À l’opposé, le maître d’œuvre de la Liebfrauenkirche de Trèves s’en est tenu à des détails très imprégnés de tradition française, tandis qu’il élaborait un plan-masse aux caractéristiques uniques, constitué d’un bâtiment central entouré de chapelles rayonnantes.
Tout aussi unique est l’Elisabethkirche, dont la conception, bien qu’étalée dans le temps, est le résultat d’un seul et même plan. Pour ce qui concerne l’aménagement intérieur, son concepteur s’en est tenu aux principes propres aux églises-halles, telles qu’on les construisait en Westphalie, tandis que, pour la façade, il choisit de s’éloigner du modèle très français qui consistait à monter deux tours étroites et d’un seul tenant. Il avait déjà remarqué que la verticalité était un principe fondateur très fructueux du gothique.
C’est toutefois dans les cathédrales rhénanes de Cologne (Illustrations 1, 2, 3) et de Fribourg que le gothique allemand, qui ne s’est généralisé qu’au cours du XIVe siècle, a reçu ses lettres de noblesse. À leurs côtés, et sans démériter du point de vue de la qualité artistique, se trouvent les deux cathédrales des villes du Sud que sont Ulm et Ratisbonne, ainsi que celle de Vienne. On notera que ces trois dernières villes sont construites le long du Danube.
William Hurley, Tour octogonale de la croisée du transept,
cathédrale d’Ely, Ely, commencée en 1109.
La Cathédrale Saint-Pierre-et-Sainte-Marie de Cologne
Aucun monument ne présente autant d’unité et de pureté gothique que la cathédrale de Cologne (Illustrations 1, 2, 3), en dépit d’une construction qui s’est étalée sur six siècles. Si le gothique a atteint, avec la flèche de la cathédrale de Strasbourg, les limites du possible permises par l’architecture, c’est avec la cathédrale de Cologne qu’il a atteint le sommet de son développement dans le respect des contraintes absolues et quasi normatives de cet art, et donc qu’il signe l’apogée du gothique allemand. En comparant les deux monuments, on note que la cathédrale de Cologne est beaucoup plus sobre, et que sa construction est plus l’œuvre de la rationalité que celle de la fantaisie. Il faut dire que les maîtres d’œuvre de la cathédrale de Cologne n’ont fait que tirer les conséquences ultimes des principes fondateurs du gothique ; et c’est ainsi que cette cathédrale se pose en modèle absolu du gothique. Toute la puissance du gothique y est renfermée, dans le seul but de mettre en valeur les derniers substrats encore dissimulés du gothique, et aussi de remplir l’idéal de pureté du gothique, à savoir le principe de verticalité.
Les premières traces d’un édifice religieux à cet endroit remontent au Ve siècle, avec une abside de 40 mètres de long, qui fut rapidement remplacée par un nouvel édifice destiné à accueillir le tombeau des princes Francs. C’est en 1248, après l’incendie ayant détruit la cathédrale Hildebolde, que le chœur de l’édifice gothique, terminé en 1322, fut commencé sur les plans d’un certain Gerhard. La cathédrale, telle que nous la connaissons aujourd’hui, fut construite pour accueillir un nombre croissant de fidèles sur les fondations de l’ancienne qui avait été consacrée en 873. Avec ses quatre mille places assises, elle est, après celle d’Ulm, la deuxième plus grande cathédrale d’Allemagne et la troisième en comparaison mondiale. Elle était destinée à recevoir les reliques des trois Rois mages, que l’Archevêque de Cologne avait ramenées de son séjour à Milan.
Le premier maître d’œuvre, Gerhard, était très inspiré par le style français, notamment par celui de la cathédrale d’Amiens (Illustrations 1, 2) et celui, très escarpé, de la cathédrale de Beauvais (Illustrations 1, 2). Il périt cependant, dès 1260, d’une chute d’échafaudage. Ses successeurs, le maître Arnold, jusqu’en 1301, puis Johannes Gehrard, fils du défunt, ont joué un rôle important dans la poursuite du chantier et, bien qu’ayant ajouté un certain nombre de touches personnelles, après que le chœur fut terminé, ils n’ont en rien détérioré l’harmonie globale du bâti. Ils ont d’abord construit un chœur en cinq parties, puis en ont répercuté sur la nef les conséquences, c’est à dire en y créant quatre bas-côtés. Élevant l’agencement de l’église à son sommet de perfection, ils mirent la verticalité toujours plus en valeur, au fil de l’avancement des travaux, et ce, jusqu’à atteindre le sommet des tours jumelles de la façade ouest. C’est à partir du projet du fils Gehrard, datant du XIVe siècle, projet qui s’est conservé à travers les siècles, que les travaux, interrompus en 1515, ont pu reprendre, après trois siècles au cours desquels l’édifice ne manqua pas de subir certaines dégradations. Ernst-Friedrich Zwirner, à partir de 1842, puis Reinard Voigtel, à partir de 1861, ont procédé à des travaux de rénovation achevés en 1880, qui ont rendu toute son harmonie à ce « miracle de pierre ».
La cathédrale avait à cette époque, déjà été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, qu’elle a rejoint en 1998.
Chœur, cathédrale de Gloucester
(ancienne église abbatiale bénédictine), Gloucester, vers 1337-1360.
Galerie du cloître, cathédrale de Gloucester
(ancienne église abbatiale bénédictine), Gloucester, 1360-1370.
La plus vieille partie de cette cathédrale, le transept, est romane. Les travaux d’inspiration gothique ont, eux, commencé dans le dernier quart du XIIe siècle, soit en même temps que ceux de la cathédrale de Strasbourg (Illustrations 1, 2, 3, 4), et ont concerné la construction de la nef. La façade ouest de l’édifice débouche sur une tour, qui fut élevée en trois parties distinctes, bien qu’organiquement étroitement liées. Cette tour consiste en un bâtiment rectangulaire avec une halle magnifique en rez-de-chaussée, laquelle conduit sur un clocher octogonal, couronné d’une flèche de pierre s’élevant au sommet de cet art, bien qu’étant la première de ce type. Le chœur, commencé en 1354 et achevé seulement en 1514, est de même profondeur que la nef et débouche sur quatorze chapelles rayonnantes.
La Cathédrale de Ratisbonne
Les deux cathédrales du Sud de l’Allemagne ont eu un destin identique à celui de leurs sœurs rhénanes. Aussi bien la cathédrale de Ratisbonne que celle d’Ulm ont été parachevées au XIXe siècle, et ont de fait connu un achèvement de haute valeur artistique, qui est resté étranger à la cathédrale de Vienne. La cathédrale de Ratisbonne, dont les travaux se sont étalés de 1275 jusqu’au début du XVIe siècle, a ceci de particulier qu’elle repose sur une terrasse de trois mètres de hauteur qui l’entoure entièrement. Ce simple fait contribue à accroître considérablement l’impression de hauteur d’un édifice qui est déjà de trente mètres plus élevé que la cathédrale de Strasbourg. Le maître d’œuvre a, lui aussi, cherché à se défaire de l’influence française, en se rapprochant des coutumes romanes locales. La construction définitive des tours, dont les flèches sont largement influencées par celles de la cathédrale de Cologne (Illustrations 1, 2, 3), fut achevée entre 1859 et 1871 par l’architecte Ritter von Denziger.
La Cathédrale d’Ulm
C’est un incroyable plaisir à l’ouvrage qui a incité les citoyens d’Ulm à entreprendre, un siècle après Ratisbonne, la construction de leur cathédrale, dont la nef à deux bas-côtés, construite par Ulrich von Ensingen, s’élève à 42 mètres de hauteur. La plus belle partie de l’édifice se devait néanmoins d’être la tour ouest, à l’érection de laquelle travaillait depuis 1480 un certain Matthias Böblinger, originaire d’Esslingen, dont un frère ou un parent, Hans Böblinger, s’affairait quant à lui à la construction de la tour et de la flèche de la Liebfrauenkirche d’Esslingen, un autre chef-d’œuvre gothique. Matthias Böblinger ne rencontra pas le succès escompté ; après dix années de travail, les murs furent ébranlés, et le maître dut s’enfuir devant l’insurrection populaire. Il fut remplacé par Burkhart Engelberger, originaire d’Augsburg, qui réussit à renforcer les fondations de cette tour haute de 74 mètres, et ainsi à la sauver de l’effondrement. L’intérieur dut aussi être renforcé, par l’implantation d’une rangée de colonnes, dont l’effet immédiat fut de créer deux bas-côtés supplémentaires. Ce n’est qu’en 1890 que l’on s’attela à la tâche de terminer les tours, lesquelles, selon les plans de Böblinger qui avaient été conservés, devaient s’élever à 162 mètres. L’architecte August Beyer fut chargé de cette mission, contribuant ainsi à l’érection du plus haut clocher du monde, étant donné qu’il dépasse, de cinq mètres, les tours de la cathédrale de Cologne (Illustrations 1, 2, 3).
Nef centrale, vue intérieure vers l’ouest,
cathédrale Saint-Pierre, Exeter, transformée entre 1270 et 1369.
Les Autres Édifices religieux allemands
Bien qu’il ne manque pas d’édifices marquants en Saxe et en Thuringe, ceux-ci ne peuvent malheureusement pas rivaliser avec ceux que l’on trouve en Allemagne du Nord. À côté de la cathédrale de Ratisbonne, trois cathédrales sont d’une importance artistique significative : celle de Halberstadt, érigée entre 1239 et 1492, dont les tours, construites en premier, sont encore marquées par le roman, celle de Misnie (Meissen) et celle d’Erfurt. Ces deux dernières sont des églises-halles, dont le bâti, constitué d’une nef à deux bas-côtés, correspond bien aux besoins de cette époque en terme d’espace, de largeur et de hauteur des édifices religieux, tendance qui a commencé à se manifester, en Westphalie, avec l’apogée du roman, et qui est restée dominante avec le gothique, comme l’attestent la cathédrale de Minden, la Wiesenkirche de Soest et la Lambertkirche de Münster.
Ce besoin a dû être ressenti très profondément, tant les églises-halles se sont, à partir de la moitié du XIIIe siècle et aussi dans le Sud de l’Allemagne, très fortement multipliées. Ainsi les trois églises principales de Nuremberg ont toutes été conçues comme des églises-halles. La cathédrale Notre-Dame (Frauenkirche) en est un bel exemple, avec sa façade-pignon surélevée d’arcades impressionnantes, ou encore sa chapelle Saint-Michel, qui sort du frontispice qui surplombe le parvis. La Lorenzkirche, dont le frontispice ouest, pris entre les deux tours, est totalement d’inspiration française, ainsi que la Sebalduskirche, sont des créations de la plus haute qualité gothique, et présentent toutes les particularités du gothique, tel qu’il fut pensé à Nuremberg. La très décorative porte nord de la Sebalduskirche, spécialement caractéristique de l’art de Nuremberg du XVe siècle, en ce qu’elle a exploité la quasi-totalité des savoir-faire artisanaux, est un brillant témoignage de cette école gothique. Il en va de même de la fameuse porte de la mariée, finement décorée de tracerie, du non moins célèbre petit chœur, situé dans la cour du presbytère, derrière l’église, et monté en saillie sur un pilier, et enfin de la belle fontaine, construite entre 1383 et 1396, qui constitue une œuvre d’art de tout premier plan, par la valeur de son architecture et par la beauté des sculptures.
On a construit des églises-halles un peu partout où l’on disposait de brique. Dans la mesure où l’on devait parfois faire l’impasse sur la somptuosité des décors, voulait-on du moins briller par la taille, la monumentalité, l’imposante masse des murs, ce dont la cathédrale Notre-Dame de Munich, construite entre 1468 et 1488, constitue l’un des exemples les plus impressionnants. Toutefois, dans le Nord et l’Est de l’Allemagne, où les constructions de brique faisaient depuis longtemps partie du patrimoine local, on n’est pas parvenu à se contenter de l’absence, inhérente à ces constructions, de décorum sur les façades. Aussi les artistes se sont-ils mis à imiter le décor principal de l’art gothique, à savoir la tracerie, en disposant les briques d’une manière particulière, et en les alliant avec des ornements de terre cuite, jusqu’à atteindre un degré assez élevé de perfection ornementale, principalement pour ce qui concerne les pignons, qui pouvaient désormais arborer leurs rosaces décorées le long de façades qui n’en finissaient pas de s’élever vers le ciel.
C’est dans les riches cités hanséatiques que l’on rencontre toutefois les monuments de brique, civils ou religieux, les plus accomplis, du fait de la richesse et de l’esprit très entreprenant de leurs habitants. Les Marienkirche de Lübeck et de Gdańsk (autrefois Dantzig) dépassent de très loin les autres, en taille et en beauté. Les édifices religieux que l’on rencontre dans la Marche de Brandebourg n’ont toutefois rien à leur envier. Ici en effet, la construction de brique a également atteint un degré élevé de qualité, comme on peut le constater en observant le majestueux cloître de Chorin ou encore la Katharinenkirche, dans l’ancien évêché de Brandebourg : pour ces deux édifices, l’émulation entre une architecture de brique et une sculpture tout en raffinement de la pierre de taille a parfaitement fonctionné.
La Cathédrale Saint-Étienne de Vienne
Cet édifice, commencé en 1339, présente, au moins pour ce qui concerne le chœur, des caractéristiques très allemandes. Comme les bas-côtés de la nef sont à peine moins hauts, mais quasiment aussi larges que le reste de celle-ci, nous sommes très près du modèle des églises-halles, qui depuis le XIVe siècle s’est également implanté dans le sud des territoires allemands, et a persisté, au XVe siècle, à servir de modèle favori. Le fait que les tours n’ont pas été élevées sur la façade ouest, mais bien sur les façades nord et sud, là où se situe normalement le transept – dont elle est dépourvue – est une des particularités essentielles de elle Saint-Étienne Malheureusement, seule la tour sud, haute de 137 mètres, a été achevée, et ce par maître Wenzel, en l’an 1433. Cette hauteur place la cathédrale à la quatrième place des tours les plus hautes situées en territoire de langue allemande. Lorsqu’on la regarde, elle donne l’impression d’une pyramide, ce qui en accroît l’originalité.
Les Bâtiments profanes : les hôtels de ville
Les effets artistiques reconnus à la brique ont été appliqués aux bâtiments profanes, notamment aux hôtels de ville, dont les façades furent ornementées de pignons très hauts, souvent en trois parties, et qui avaient une valeur purement décorative. Ces effets ont également été appliqués aux tours, situées soit aux portes de la ville, soit autre part sur le mur d’enceinte. Les vieilles villes de la Marche de Brandebourg, que sont Brandebourg elle-même, Tangermünde, pour son hôtel de ville, et Stendal, pour sa porte Ünglinger, sont riches d’exemples. Les hôtels de ville sont les monuments gothiques profanes les plus marquants, car, parmi ces maisons qui ont été construites en gothique, relativement peu d’entre elles ont conservé ces apparats, et ce, dans les régions de brique plus encore que dans les régions de pierre.
La vieille cité hanséatique de Lunebourg, qui fut prospère du fait de l’obtention du monopole sur le sel, présente le très intéressant exemple, qu’elle partage avec certaines villes de Poméranie et du Brandebourg, d’avoir, sans exception, érigé des maisons surmontées d’un très haut pignon en escalier, lequel donnait à la rue un aspect très étroit et une allure particulière. Cette forme de pignon est typique des maisons gothiques allemandes et hollandaises, et a même survécu à la Renaissance. À la fin du Moyen Âge gothique, la construction bourgeoise a mis les artisans sur la voie de la formation artistique, phénomène qui cependant n’a atteint sa maturité qu’à partir de la Renaissance, et tout particulièrement dans les vieilles villes saxonnes, comme Brunswick, Halberstadt, Hanovre ou Hildesheim. La façon dont ces maisons à pignons de brique tendaient à se distinguer les unes des autres, est formidable, et contraste avec ce que l’on peut rencontrer aujourd’hui dans l’architecture contemporaine, où les maisons, alignées, se ressemblent toutes. Cette tendance à la diversité des formes a aussi concerné les régions où l’on construisait en pierre, régions dans lesquelles un style fut particulièrement apprécié, qui n’est pas sans rappeler celui des fortifications. À cet égard, on peut citer, au titre des plus belles maisons gothiques très bien conservées, la Nassauer Haus, à Nuremberg, qui ressemble plus à une tour fortifiée qu’à une maison, ainsi que la Steinerne Haus, à Francfort.
Parmi les plus splendides mairies de brique d’Allemagne du Nord, on citera, à côté de celles du Brandebourg, celles de Lübeck et de Stralsund, qui allient une forte contenance artistique avec une immensité des espaces. La bourgeoisie cherchait alors, dans le faste de l’ameublement et la majesté de l’architecture, à marquer publiquement l’étendue de son pouvoir, acquis par l’argent. Les bourgeois ne se sentaient visiblement pas encore suffisamment en confiance pour exprimer cette richesse dans leurs maisons d’habitation personnelles. Cette fierté bourgeoise était si grande au XIVe siècle, que même dans la plus petite des villes l’on ne manquait pas d’ériger une mairie gigantesque, symbole des droits acquis et de l’autonomie de son statut.
Façade occidentale, église Saint-Laurent,
Nuremberg, 1353-1362 (partie centrale), 1383 (achèvement des tours).
Baptistère, cathédrale et campanile, Pise,
baptistère commencé en 1153, cathédrale en 1063 et campanile en 1173.
Bien que la majorité de ces mairies aient été reconstruites et réaménagées dans un style nouveau, tout au long du XVIe siècle, à moins qu’elles ne fussent simplement remplacées par de nouveaux édifices, nous ne sommes pas en reste de témoignages de cette époque, qui a vu fleurir la prospérité et le renforcement des villes. L’hôtel de ville de Munster, un monument à pignon très haut, maintes fois imité, et celui de Brunswick, dont les deux ailes se rencontrent en angle droit, et dont les deux halles voûtées s’ouvrent sur la place du marché, sont les témoins de la valeur artistique et de la splendeur atteintes par les bâtiments profanes allemands du XIVe siècle.
Un autre domaine de l’architecture bourgeoise concerne les tours et les fortifications des villes, dont la fonction de défense fut, avec le temps, complétée d’une fonction décorative. Une fois encore, les régions de brique prirent les devants, en érigeant des fortifications qui alliaient habilement une force monumentale sans détour avec une finesse du détail. La Holstentor de Lübeck, construite en 1477, avec l’aspect d’une porte de citadelle, ainsi que les portes de la ville de Neubrandebourg, constituent les emblèmes artistiques les plus significatifs, à côté des tours et des portes des villes de l’autrefois prospère Brandebourg.
Dans d’autres régions, où, dans certains cas, l’on parlait autrefois l’allemand, il ne manque pas d’exemples de portes et de murailles, qui ont artistiquement marqué leur époque : la Svalentor à Bâle, l’Escheneimer Tor à Francfort, ainsi que la tour-pont de la vieille ville de Prague, qui constitue l’une des dernières traces des magnifiques constructions entreprises dans cette ville, sous le règne de Charles IV.
À partir du milieu du XIVe siècle, les citadelles et les châteaux commencent à perdre l’essentiel de leur signification défensive, acquise au début du Moyen Âge, et servent plutôt de demeures pour les familles régnantes. Si, dans leur apparence extérieure, ils ne renient pas cette fonction défensive, l’agencement intérieur et l’ameublement ont su tirer parti des gigantesques salles telles que le gothique savait les penser. C’est ce qu’a compris, mieux que quiconque, maître Arnold de Westphalie, lors des travaux du Albrechtsburg à Misnie.
Pour ce qui est du faste de l’agencement, il fut toutefois dépassé par les maîtres d’œuvre de l’Ordre des chevaliers teutoniques, lesquels, entre 1309 et 1457, ont réalisé à Marienbourg (aujourd’hui Malbork), siège du grand maître de cet ordre, la plus belle des œuvres que l’art profane de tout le Moyen Âge allemand est en mesure d’offrir. Avec la montée en puissance de l’Ordre, créé à l’occasion de la troisième croisade (1189-1192), on rattacha au haut château le château moyen, qui abrite, en sus de la demeure du grand maître, la grande salle de réunion de l’Ordre des chevaliers, la célèbre Remter, un chef-d’œuvre de voûtes incomparable. Le château n’a cessé de se dégrader au fil du temps et dut plusieurs fois être reconstruit, mais ce sont les destructions occasionnées pendant la seconde guerre mondiale, qui ont été les plus violentes.
L’Architecture gothique en Italie
Le gothique a connu un remaniement fondamental à l’occasion de sa traversée des Alpes, d’Allemagne jusqu’en Italie. Les constructeurs italiens ont purement et simplement ignoré cette tendance à la verticalité et à la hauteur, poussée à l’extrême par les Allemands, au moyen des systèmes de culée, et constitutive du caractère essentiel de l’architecture gothique. On peut supposer que l’architecture pluriséculaire italienne disposait de racines trop profondes, pour pouvoir être ainsi révolutionnée. Les Italiens ont commencé par marquer leur attachement au système de voûtes roman. La seule chose à être reprise fut la manifestation extérieure de la modernité gothique. On ne peut, de fait, parler d’un système gothique au sens strict, pour ce qui concerne l’Italie.
Le sentiment italien, habitué aux espaces vastes sans être trop hauts, et d’une manière générale, à la structure plutôt horizontale des bâtiments, reçut avec froideur ces voûtes qui cherchaient à atteindre le ciel, et se prononça catégoriquement contre ces tours d’une hauteur infinie, que les Allemands avaient érigées en sommet de leur esthétique. Mais l’intérêt des Italiens pour tout ce que le gothique compte de décorum et de raffinement, n’en fut que multiplié. C’est avec une ardeur enfantine que ceux-ci laissèrent aller, en toute liberté, leur fantaisie, attisée par cette multiplicité, cette finesse, cette variété infinies des possibilités offertes de décorer et d’embellir un édifice. C’est ainsi qu’ont été réalisées les magnifiques créations que sont la façade de la cathédrale de Sienne et celle, imitation simplifiée de la précédente, d’Orvieto.
Le plus vieil édifice gothique en Italie est l’église Saint-François, à Assise, construite entre 1228 et 1253, dans laquelle est conservée la dépouille d’un des saints les plus appréciés des Italiens, et qui se présente sous la forme d’une double église, constituée d’une basilique supérieure et, un étage en dessous, d’une basilique inférieure. Cet édifice, en forme de croix, est l’œuvre du maître Jacques, qui a été fortement influencé par l’architecture française pratiquée en Bourgogne et en Aquitaine. On ressent très fort, dans cet édifice, comment les influences italiennes ont été intégrées : une nef sans bas-côtés, pensée horizontalement, très large, aux murs recouverts de fresques.
Le cloître voisin, nommé Sacro Convento, est inséparable du mausolée, dont l’initiative de la construction revient au pape Grégoire IX en personne, qui a, le 17 juillet 1228, posé la première pierre. Les fresques ont été commencées dans les deux basiliques, inférieures et supérieures, en 1300, par Giotto et Cimabue, avant d’être refaites, suite à un tremblement de terre qui les a fortement détériorées. L’église abrite de nombreux chefs-d’œuvre et notamment l’autel, réalisé par Girolamo Romanino en 1515. Cette ardeur à pousser jusqu’à l’exubérance les décors plastiques, a tellement pris la première place, que, même dans l’édifice gothique italien le plus apparenté au style allemand, à savoir la cathédrale de Milan, le bâti tend presque complètement à disparaître, étouffé qu’il est sous une forêt de statues.
Le gothique fut indéniablement porté par les franciscains et les dominicains, deux ordres qui faisaient alors leur apparition. Ce sont eux qui l’implantèrent à Venise, où l’on peut découvrir la somptueuse église Santa Maria Gloriosa dei Frari, bâtie par les franciscains entre 1250 et 1338, et la non moins somptueuse église San Giovanni e Paolo, construite par les dominicains. Ces deux églises servirent de modèles à toutes celles qui ont ultérieurement été construites dans la région de Venise.
Le nouveau style avait cependant déjà pris pied à Florence. L’église abbatiale d’Arezzo et la magnifique Santa Maria Novella, toutes deux commencées en 1278, étaient déjà gothiques. Et c’est aussi ici que la plus magnifique des maisons de Dieu devait voir le jour, plus belle et plus grande que toutes celles de Toscane. L’année 1294 voit le commencement des travaux de l’église abbatiale San Reparata, un bâtiment hors du commun, sous la direction du maître Arnolfo di Cambio. Il s’agit d’une basilique, composée d’une nef à deux bas-côtés, de forme gothique, mais sans voûte et avec des combles apparents. Le chœur et le transept se rejoignent en un espace octogonal, assorti d’une coupole, qui forme, sur trois de ses côtés, de petites niches en forme de demi-octogone. L’abbaye est entièrement décorée de marbre de couleur. Après la mort d’Arnolfo di Cambio, c’est Giotto, alors considéré comme le plus grand artiste de son époque, qui a continué le chef-d’œuvre. C’est à lui que l’on doit le magnifique clocher, construit séparément, dans un style très sobre, et dont les murs ne sont entrecoupés que de petites fenêtres, mais décorés d’un marbre de très haute qualité. Deux années après avoir commencé son travail, Giotto décéda, et c’est Brunelleschi qui termina la coupole de 1421 à 1434.
À Rome, capitale de l’Antiquité classique, le gothique a eu du mal à s’implanter, c’est la raison pour laquelle un seul et unique édifice témoigne de ce style, l’église Santa Maria sopra Minerva, commencée en 1280.
Le plus bel héritage du gothique italien est certainement le frontispice de la cathédrale de Sienne, ville devenue prospère au cours du XIIIe siècle grâce au commerce, et qui voulait en témoigner au monde entier par la reconstruction de sa cathédrale. Sur des plans de Giovanni Pisano, dont il assura lui-même et pour partie la mise en œuvre, le frontispice fut commencé en 1284, mais achevé longtemps après sa mort, en 1380. C’est une association de marbres blanc, noir et rouge qui fut utilisée, aussi bien pour l’intérieur que pour l’extérieur de la cathédrale, ce qui donne l’impression d’un édifice rayé horizontalement.
Il est également nécessaire de mentionner la cathédrale d’Orvieto, en Ombrie, commencée en 1310 par le maître Lorenzo Maitani, et qui, du fait de ses lignes abruptes, se rapproche beaucoup du gothique allemand. La décoration intérieure est faite, quant à elle, de mosaïque peinte.
La Cathédrale Santa Maria Nascente à Milan
C’est en Lombardie, dans un contexte où l’on cherchait à se protéger du gothique, qui avait, de fait, de la peine à s’imposer, que fut construite, dans des délais très longs, la cathédrale de Milan, commencée en 1386.
Tout porte à croire que cet édifice, la quatrième des plus grandes cathédrales à quatre bas-côtés, a été conçu par des Allemands, sur commande de Gian Galeazzo Visconti, qui cherchait, par ce somptueux monument, à affirmer son pouvoir et sa puissance. En 1391, on fit appel au très célèbre architecte Heinrich von Gmünd, le plus ancien de la famille des Parler. Si la jalousie des maîtres italiens ne lui permit pas de demeurer en Lombardie très longtemps, d’autres architectes allemands ont assuré la suite de la construction. Toutefois, les Italiens eurent quand même leur mot à dire pour l’érection de cet édifice, et ce, lorsque Napoléon I, au début du XIXe siècle, ordonna de terminer la façade en vertu d’un projet très baroque, contenant près de quatre mille statues.
Les Églises gothiques de Florence et de Venise
Les églises florentines Santa Maria Novella et Santa Croce ainsi que la cathédrale Santa Maria del Fiore sont, quant à elles, de style parfaitement italien. L’église Santa Croce, d’une sobriété absolue, est l’œuvre d’Arnolfo di Cambio, lequel a aussi esquissé les plans de la cathédrale Santa Maria del Fiore, bien que celle-ci fût poursuivie par Giotto et Brunelleschi. À Giotto, l’on doit l’esquisse du magnifique clocher construit en un vieux style très italien, et dont la beauté de la structure, comme celle des décors, dépasse celle de l’église elle-même. Ce qu’il faut retenir de la cathédrale en est la coupole, construite par Brunelleschi, laquelle évoque déjà une certaine modernité qui inaugura la Renaissance qui a suivi.
C’est à Venise que le gothique a le caractère le plus particulier, ce que l’on doit certainement à l’esprit de sa population. À Venise, les monuments profanes, comme les édifices sacrés (parmi lesquels on note l’église franciscaine Santa Maria dei Frari), sont tous significatifs. De son côté, le Palais des Doges, siège du gouvernement de Venise, commencé au début du XIVe siècle et achevé au milieu du XVe siècle, offre une véritable sensation de monumentalité, sans que le sens très vénitien pour le décor ait à en souffrir. Les deux halles ouvertes, qui se déploient le long des deux façades, sont devenues un motif vénitien typique qui se retrouve, sous différentes variations, dans nombre de palais privés construits au XVe siècle, particulièrement ceux dont la façade est tournée sur le grand canal. C’est au Palazzo Foscari et à la célèbre Ca’ d’Oro – qui doit son nom aux dorures de sa façade et dont les étages sont percés d’arcs-boutants à l’air libre – que la plus grande richesse, et la plus élégante des grâces dans l’utilisation des décorations gothiques, ont été conjointement déployées.
Il Campo, Palazzo Pubblico et Torre del Mangia,
Sienne, Il Campo commencé après 1280,
Palazzo Pubblico : 1288-1310 et Torre del Mangia : 1325-1348.
Les Bâtiments profanes : les palais
Les monuments profanes italiens ayant échappé à l’empreinte gothique reflètent l’esprit militaire de leur époque guerrière et incertaine. Ceci vaut particulièrement à Florence pour le Palazzo Vecchio (1299-1314), siège de la Signoria, pour le Palazzo del Bargello (1255-1261) siège du chef de la police, et à Sienne, pour le Palazzo Pubblico (1288-1310), qui ressemble très fortement à une forteresse.
Contre cette tendance, la plus vieille partie de l’Ospedale Maggiore de Milan, construite de 1456 à 1465 par l’architecte et sculpteur Antonio Filarete (de son vrai nom Antonio di Pietro Avertino), l’un des plus jolis édifices gothiques de brique jamais construit en Italie, rivalise de beauté avec les édifices vénitiens, et les dépasse même complètement, d’un point de vue artistique. Le recours aux ogives ainsi qu’à une certaine tracerie, faite d’arcs très cintrés et de demi-cercles entrecroisés, à été caractéristique du gothique employé à la construction des palais vénitiens.
La Ca’ d’Oro ainsi que le Palazzo Foscari sont des exemples marquants de l’emploi de tels motifs décoratifs dans l’architecture profane italienne d’obédience gothique.
L’Architecture gothique en Belgique et aux Pays-Bas
Le gothique religieux s’est développé, dans cette région, avec beaucoup moins d’indépendance stylistique vis-à-vis de l’influence allemande. L’origine des populations et leur histoire expliquent, que dans le nord, aux Pays-Bas, l’influence allemande soit forte, tandis qu’au Sud, dans l’actuelle Belgique, c’est l’influence française qui ait été déterminante.
La plus vieille église gothique de Belgique, la cathédrale Saint-Michel-et-Sainte-Gudule à Bruxelles, est demeurée, en dépit des trois siècles qu’a duré sa construction, à compter de 1226, fidèle aux plans d’origine, d’influence française. A contrario, lors des développements postérieurs du gothique, les deux influences, allemande et française, ont plutôt eu tendance à se mélanger.
De ce mélange est née la plus grosse et la plus décisive des cathédrales gothiques de Belgique, la cathédrale Notre-Dame d’Anvers, dont la construction s’est étalée de 1352 à 1521. Elle a ceci de commun avec la cathédrale de Strasbourg, qu’une seule tour de la façade ouest a été achevée. Son style se distinguant nettement de l’influence allemande (les toits en flèche notamment), on peut parler d’une certaine indépendance du gothique belge, indépendance que celui-ci avait déjà acquise de longue date pour ce qui concerne les édifices profanes.
Dans des proportions encore plus grandes qu’en Allemagne, et avec une énergie redoublée, les riches villes marchandes du Brabant et des Flandres, dans lesquelles s’échangeaient des marchandises du monde entier, ont eu à cœur de traduire leur prospérité dans la construction d’immenses marchés couverts et de splendides hôtels de ville. Symbole du pouvoir de la cité, le Beffroi, une tour carrée, mince et élancée, flanquée d’un toit pointu, ne manquait jamais d’être érigé. Les hôtels de ville de Bruges, de Bruxelles et de Louvain, ainsi que la Halle aux draps (1280-1304) dans la ville d’Ypres, ravagée par la première guerre mondiale, sont autant de symboles et de mémoire de cette fierté des citoyens du Moyen Âge. Ces édifices, de par leurs couleurs, d’un brillant exalté, et de par l’infinie richesse de leurs décorations, témoignent de la passion de leurs constructeurs, ainsi que de leur sens aigu de l’expression artistique.
Tous ces édifices immenses sont en pierre de taille, alors qu’aux Pays-Bas, où dominait un esprit plus réaliste et plus sobre qui réduisait les possibilités d’expression artistique, on avait plutôt recours à la brique. En dépit de la volontaire simplicité de leur apparence extérieure, les églises hollandaises, qui correspondent souvent à l’esprit du gothique tardif allemand, déploient cependant un fort sentiment de monumentalité dans leur agencement intérieur. Cette monumentalité n’est entachée que par la nudité totale de ces halles, souvent l’œuvre d’iconoclastes fanatiques du XVIe siècle qui ont aussi mis un terme à la construction d’églises aux Pays-Bas.
L’Architecture gothique dans les régions scandinaves
En Scandinavie, le gothique n’a guère développé de traits nationaux. En Norvège, où la cathédrale de Trondheim constitue l’édifice gothique le plus significatif, on note une réelle influence anglaise. En Suède par contre, comme en Allemagne, le gothique fut introduit par des maîtres d’œuvre français, qui ont commencé en 1287 la construction de la cathédrale d’Uppsala, restaurée à la fin du XIXe siècle. Ceux-ci n’ont toutefois pas eu d’influence majeure sur les développements ultérieurs du gothique dans ce pays. Plus tard, la brique reçut une place de choix, ce qui rapproche ce modèle de celui d’Allemagne du Nord.
L’Architecture gothique dans la péninsule ibérique
À l’exception de la Navarre, le gothique a mis du temps pour s’implanter en Espagne, et il faut attendre le XIIIe siècle pour y trouver les premières véritables réalisations, qui sont plutôt de gothique classique. Afin de qualifier cette époque, il est important de distinguer le style « Isabelle », très décoratif et très riche, qui a donné à l’art de cette époque un caractère particulier, du gothique pur, très monumental et très sobre. Aux XIVe et XVe siècles, des maîtres d’œuvre étrangers, principalement Allemands et Flamands, construisirent nombre de cathédrales et d’églises en Castille. Aux Baléares, les églises-halles font leur apparition, constituées simplement d’une nef, d’une voûte et d’un toit de bois. Des murs dénudés donnent à ces édifices, d’une clarté très harmonieuse, une apparence très sobre.
Les édifices profanes suivirent les mêmes principes, et principalement pour les bourses de commerce, atteignirent une extraordinaire et parfaite harmonie dans la structure des espaces.
Les églises gothiques espagnoles sont nettement d’influence française, parmi lesquelles les plus grandes sont la cathédrale de Burgos (1221-1765), répertoriée au patrimoine de l’UNESCO, la cathédrale Santa Maria à Tolède, construite du XIIIe au XVe siècle, ainsi que la cathédrale Maria de la Sede à Séville (1401-1519). L’esprit méditerranéen très vivace s’exprime essentiellement par la grande richesse de l’ornementation, fréquemment de style mauresque. Celui-ci fut finalement complété par l’ajout de clochers en flèche d’esprit très allemand, pour accroître encore la beauté des cathédrales espagnoles. Les plus belles tours, celles de la cathédrale de Burgos, sont l’œuvre de maître Johannes, de Cologne (Illustrations 1, 2, 3). Toutefois, l’ensemble des édifices, qu’ils soient profanes ou sacrés, dévoilent un fort caractère oriental, qui s’apparente au style Mudéjar, avec ses formes d’arcs en fer à cheval et des murs de briquettes. En Aragon, de nombreux édifices relevant de cette influence sont aujourd’hui répertoriés au patrimoine de l’UNESCO.
On ne peut pas oublier de mentionner l’église San Juan de los Reyes, construite au milieu du XIIe siècle en plein cœur du quartier juif de Tolède, qui fut vraisemblablement l’œuvre d’un Français. C’est le chœur qui se révèle très intéressant dans cet édifice, puisqu’il est le résultat de méthodes de construction très nouvelles. C’est la première fois, en effet, que fut construit un déambulatoire en double demi-cercle, lequel est, en alternance, divisé en parties triangulaires ou carrées. Une autre caractéristique, très locale, apparaît au cours de la deuxième période de sa construction, dans le fait que les quatre bas-côtés n’ont qu’une très faible différence de hauteur avec la nef, ce qui d’ailleurs diffère complètement de l’influence française.
La cathédrale de Cuenca, construite pendant la première moitié du XIIIe siècle, est l’une des plus anciennes constructions gothiques d’Espagne. Les cathédrales du Moyen Âge possédaient fréquemment une apparence plus militaire que sacrée, et servaient d’ailleurs souvent les deux desseins ; c’est ce dont témoigne la cathédrale de Siguënza, et plus particulièrement sa façade. L’intérieur témoigne, quant à lui, de ses origines romanes et de son achèvement gothique. Les constructeurs de la cathédrale avaient trouvé une solution, qui sera ensuite utilisée pendant la Renaissance : les piliers furent renforcés et montés horizontalement de telle manière, que l’on a l’impression que deux bâtiments ont été érigés l’un dans l’autre. Un autre exemple du gothique tardif espagnol, de style « Isabelle », se trouve dans la cathédrale d’Alcalá, qui, avec son déambulatoire, a servi de modèle à la cathédrale de Tolède.
Les rares édifices gothiques portugais témoignent des mêmes aspects que ceux d’Espagne, mais avec encore plus de luxuriance déployée dans les façades. Le plus prestigieux est certainement le cloître de Batalba, avec le mausolée du prince Manuel, auquel les décorations très méditerranéennes ont donné un aspect étonnant, tout en signant l’arrêt de mort du gothique.