4. Vierge à l’Enfant avec deux anges, vers 1485-1495.
Tempera sur panneau, diamètre : 32,5 cm.
The Art Institute of Chicago, Chicago.
Alessandro di Mariano Filipepi, surnommé « di Botticello », en hommage à son premier maître, et que ses contemporains appelèrent familièrement Sandro Botticelli, naquit à Florence en 1445. Bien que Vasari annonce son décès dans la cité florentine en 1515, il mourut le 17 mai 1510. Enfant du peuple florentin, de cette classe fine, avisée et fort éveillée, il était doué d’une sorte de grâce aristocratique. Les traditions rigides de la vieille Commune auraient put, dit-on, l’enfermé en sa corporation, en son quartier, attaché à quelque modeste office des arts mineurs. Il eût tenu, dans l’ombre de la maison paternelle, une boutique d’orfèvre ou d’apothicaire ; il eût vendu, sur le Ponte-Vecchio, des psautiers et des rosaires ; le dimanche, parmi ses compères du Tiers-Ordre dominicain, il eût chanté d’interminables Laudes et parfois, sous la cagoule du pénitent bleu, noir ou gris, armé d’un cierge de cire jaune, il eût conduit, sans aucune tristesse, l’enveloppe mortelle de quelque voisin au plus proche Campo Santo. Destinée très étroite et très humble qu’acceptaient allègrement les Florentins du temps passé, alors que la cité, sobria e pudica, selon Dante, vivait heureuse dans l’inviolable cercle de ses coutumes séculaires. Mais, dès le milieu du XVe siècle, les bandelettes qui enlaçaient le citoyen, entravaient sa volonté et les caprices de son ambition, se rompirent. « L’individu », l’œuvre de prédilection qu’enfanta la Renaissance, échappa dès lors à la discipline antique. Par-dessus les arts majeurs, plus haut que les banquiers, les légistes, les tisseurs de la laine ou de la soie, s’éleva l’art florentin par excellence, l’art du peintre ou du sculpteur, encouragé par l’Église, caressé par les tyrans, les républiques et les mécènes, une noblesse parmi les principats du Quattrocento, une gloire dont rêvaient amoureusement les jeunes garçons, dès qu’ils avaient contemplé et adoré Giotto à Santa Croce, Masaccio au Carmine, Fra Filippo Lippi au dôme de Prato, Donatello à l’Or-San-Michele.
La passion de la beauté, qui possèdait alors l’âme de l’Italie, règnait souverainement à Florence. Il n’y avait pasun palais, une église, un cloître qui, par le jeu éclatant des couleurs, la magnificence des costumes, la tenue grave des figures et des attitudes, l’apparition des scènes les plus augustes détachées de l’Ancien Testament ou de l’Évangile, ne donnait une fête aux yeux, à la conscience chrétienne un Memento solennel. Un incessant pèlerinage populaire amènait chaque jour les citoyens du Mercato Vecchio, les paysans du Contado en présence de ces beaux ouvrages. Ils y retrouvaient l’image de leur foi naïve, les édifiants drames liturgiques des Rappresentazioni sacre, l’étable de Bethléem, avec l’âne et le bœuf, les rois Mages prosternés devant la crèche, revêtus de pourpre et d’hermine et balançant des encensoirs d’or, les épisodes douloureux de la Passion, Jésus, tout sanglant, couronné d’épines, Jésus crucifié entre deux voleurs, Jésus ressuscité, vainqueur de la Mort. Ils y saluaient les saints patrons de leur ville, de leur village, de leur paroisse, de leur confrérie. Dix fois par jour, un bourgeois florentin levait son béret en face d’une icône de saint Jean, pauvrement vêtu d’une peau de brebis, portant sa frêle croix de roseau ; ou bien, il s’arrêtait à quelque portique d’hôpital, au préau d’un cimetière, dans la cour d’une riche maison guelfe ; il y retrouvait les symboles de sa vie publique, même la vision de sa dernière heure, des processions et des entrées seigneuriales, des tournois et des banquets, la trompette du Jugement dernier et les morts qui surgissent, livides, hors de leurs sépulcres.