Sous-Vêtements gris.

Introduction

De nombreux livres sur l’histoire et la signification des sous-vêtements ont déjà été publiés. Certains se concentrent sur des aspects spécifiques de la lingerie tandis que d’autres proposent un panorama de son histoire. Cependant, les sous-vêtements masculins sont très souvent relégués au second plan. Lorsque ce sujet est traité, sont généralement abordés les évolutions techniques et sociales ainsi que les aspects de la lingerie féminine. L’histoire de la mode masculine et féminine tend à marginaliser, voire ignorer, l’évolution des sous-vêtements masculins. L’une des raisons principales est leur simplicité comparative, en regard des sous-vêtements féminins, mais également leur aspect presque utilitaire.

Les publications exclusivement consacrées aux sous-vêtements masculins traitent souvent le sujet de manière humoristique, traduisant ainsi en image la façon dont la lingerie masculine est présentée dans la culture populaire. Un exemple de ces effets comiques est Rhys Ifans ouvrant la porte en slip ouvert en Y inversé, gris bouffant, dans la comédie romantique britannique Coup de foudre à Notting Hill (1999). Néanmoins, en 1961, Gaetano Savini-Brioni, de la maison de couture italienne Brioni, soulevait : « Pourquoi un homme devrait-il avoir l’air d’un guignol en sous-vêtements ? Un homme doit être vêtu avec autant d’élégance qu’une femme, de la veste au slip. »[1] Les dessous masculins méritent, en effet, qu’on s’y intéresse de façon moins comique et qu’on considère leur importance dans l’histoire de la mode et l’histoire culturelle ainsi que le fait qu’ils sont un élément clé de la garde-robe masculine. Comme le soulignait la revue professionnelle Men’s Wear en avril 1933, « les sous-vêtements doivent avoir la grâce d’Apollon, le romantisme de Byron, la classe de Lord Chesterfield et l’aisance, l’impudence et le confort de Mahatma Gandhi ».[2]

L’histoire des dessous féminins a abordé le rôle de la lingerie dans la séduction des hommes ainsi que son rôle en tant qu’accessoire attirant le regard des hommes sur les femmes. Richard Martin, conservateur et historien de la mode, quant à lui, a déclaré que les vêtements masculins étaient un « signe et une marque de modernité ».[3] En réfléchissant à ces deux points, nombre de questions concernant les sous-vêtements masculins nous viennent à l’esprit. Comment et pourquoi les hommes choisissent-ils leurs sous-vêtements ? Est-ce pour leur confort et leur côté pratique ou pour le moment où il sera dévoilé ou exposé ? Les hommes choisissent-ils et achètent-ils eux-mêmes leurs dessous ou est-ce leur mère, leur femme ou leur petite amie qui s’en charge ? (Selon l’historienne culturelle Jennifer Craik dans « set of denials » – « les femmes habillent les hommes et achètent les vêtements pour les hommes » et « les hommes s’habillent davantage pour le confort que pour le style ».) [4] Les sous-vêtements masculins reflètent-ils la modernité et les changements de la masculinité ? Les sous-vêtements sont-ils, de fait, personnels ? Les sous-vêtements masculins ont-ils un lien avec la séduction du sexe opposé (ou du même sexe ?) À une époque où le corps masculin est un objet de représentation sexuelle et sociale, la présentation des corps vêtus de sous-vêtements est-elle destinée aux femmes, est-elle homoérotique ou homosociale ?

Les vêtements cachent le corps tout en attirant notre regard sur ce dernier. La partie du corps qui est généralement la première couverte (pour des raisons de protection et de pudeur) est la partie génitale ; cependant, comme l’ont démontré les anthropologues, les cache-sexes sont souvent utilisés pour attirer l’attention sur le corps dissimulé. Dans son étude sur le pagne, Otto Steinmayer explique que « généralement les gens ont le sentiment qu’ils doivent rendre leur appareil génital symboliquement inoffensif avec une couverture ou une décoration… pour l’orner, l’humaniser ou le socialiser »[5] et l’historienne de mode, Valerie Steele, estime qu’un tel ornement « a primé – et prime – les aspects de la chaleur, de la protection et de la pudeur ».[6]

Les sous-vêtements englobent tous les vêtements portés qui sont complètement ou partiellement dissimulés par un autre vêtement : couvert comme est couvert le corps. Tout comme une personne portant un sous-vêtement est « à la fois habillée et déshabillée »[7], les sous-vêtements peuvent être une forme d’habillement privée et secrète ou publique. Jusqu’au XXe siècle, l’évolution de la lingerie masculine est essentiellement passée inaperçue et l’attitude prédominante était « loin des yeux, loin du cœur ». Comme l’a écrit Jennifer Craik, c’est comme si « garder les sous-vêtements masculins simples et fonctionnels permettait aux corps masculins de faire rempart à la sexualité débridée ».[8] Cependant, cela fait mentir la dynamique des changements technologiques et stylistiques. Au cours de cette dernière décennie, la lingerie masculine s’est davantage affichée et est devenue plus publique, fait dont ne se réjouissent pas tous les hommes, comme l’a indiqué le journaliste Rodney Bennet-England en 1967 : « Ce qu’il porte – ou non – sous son pantalon ne regarde que lui. »[9]

Carte postale, jeu de mots : “I - er - want one of those ‘Howdyer-doos’ with long sleeves” “Miss Smith, show this gentleman some thingamebobs”  Je - euh - voudrait un de ces ‘Howdyer-doos’ à longues manches » « Mlle Smith, montrez à ce gentleman une paire de ces bidules »), 1932. Collection privée, Londres.

Paris Underflair, 1973. Collection privée, Londres.

Les dessous masculins (et féminins) ont diverses raisons d’être : la protection, l’hygiène, la pudeur et la moralité, s’adapter aux vêtements de dessus, être un indicateur du statut social et être érotique et sensuel. Les sous-vêtements offrent une protection du corps qu’ils couvrent de deux manières. La couche supplémentaire agit comme un modérateur de température, assurant une chaleur supplémentaire et protégeant le corps du froid ou en gardant le corps plus frais. Ils permettent aussi de réduire les irritations et la chauffe dues aux tissus rêches. En même temps, les sous-vêtements protègent les vêtements du dessus des saletés et odeurs corporelles en proposant une couche hygiénique et facilement lavable. Changer fréquemment de dessous était un moyen d’avoir une hygiène personnelle lorsque prendre un bain n’était pas toujours possible ni courant. Les concepts de « propre » et « sale », d’« intérieur » et d’« extérieur » ont été essentiels pour attribuer leur rôle aux sous-vêtements dans l’enseignement (notamment religieux) de la moralité et du corps. À la notion de moralité est associée celle de pudeur. Le corps nu a souvent été jugé inacceptable, par conséquent les sous-vêtements ont agi comme un moyen de couvrir certaines parties et d’empêcher que le porteur de dessous et les spectateurs ne soient gênés. Alors que les sous-vêtements féminins ont souvent joué un rôle primordial dans la forme des vêtements du dessus, les sous-vêtements masculins y ont accordé beaucoup moins d’importance. Avant la fin du XIXe siècle, le rembourrage et la corseterie étaient utilisés par les hommes pour créer une forme de corps à la mode et idéale sous les couches supérieures. Bien que les dessous masculins passent principalement inaperçus, certaines parties sont visibles, le tissu apparent ainsi que sa propreté étaient utilisés comme indicateur de classe sociale. Historiquement, la lingerie masculine n’était pas considérée comme érotique ou sensuelle, comme c’est le cas pour les sous-vêtements féminins. Néanmoins, en s’appuyant sur la théorie des changements des zones érogènes de James Lavers, historien des costumes britannique, Valerie Steele a conclu que la sexualité masculine résidait dans les parties génitales.[10] Les sous-vêtements masculins peuvent, donc, être vus comme le reflet et la mise en valeur de la sexualité et de la sensualité, notamment lorsqu’on prend en compte l’idée que la dissimulation a un rôle à jouer dans l’érotisme des vêtements : attirer l’attention sur ce que cachent ces vêtements. La lingerie masculine et sa représentation croissante publique des corps masculins vêtus de sous-vêtements ont joué un rôle dans l’attirance et l’attraction sexuelles, garantissant que les dessous masculins n’étaient pas uniquement appréciés par le porteur.

L’histoire des écrits et des documents sur les sous-vêtements masculins a vu ses sujets changer au cours de ces cinquante dernières années. Au départ, ils étaient étudiés dans le cadre de l’histoire des costumes, comme dans l’œuvre de C. Willet et Phillis Cunnington : The History of Underclothes, rédigée en 1951 et dans Socks and Stockings de Jeremy Farrell, en 1992 (tous deux cruciaux pour les recherches relatives au présent ouvrage). Or, au cours de ces dernières années, l’approche a quelque peu évolué pour s’intéresser davantage aux études sociales avec une analyse beaucoup plus complète et importante des vêtements et leurs contextes socioculturels, dont la présentation et le merchandising des sous-vêtements masculins. Par conséquent, l’histoire des dessous masculins peut être qualifiée, comme l’a noté Richard Martin, comme « progression de la technologie, de l’invention et de la définition culturelle ».[11]

Le présent ouvrage couvre tous les types de vêtements qui, à un moment donné, ont été considérés comme sous-vêtements, dont certains, telles les chaussettes et la bonneterie, sont souvent exclus de l’histoire des dessous. Ce livre se concentre principalement sur les sous-vêtements des pays occidentaux, mais traite également des sous-vêtements des autres régions lorsque cela est opportun. Au fil de l’histoire des sous-vêtements, certains habits dont les chemises, les gilets et les t-shirts, sont remontés à la surface et sont devenus des vêtements de dessus. D’autres vêtements ont suivi le chemin inverse, comme la culotte, qui a été dissimulée par des tuniques et est devenue un sous-vêtement. Cette indécision dans les couches de vêtements a eu une influence sur le nom de certains d’entre eux. L’habillement évoluant, leurs propriétés changent en devenant plus petits et en adoptant un nom plus court également, ce qui, par exemple, a été le cas en anglais pour les pantalons (pantaloons) homme du début du XIXe siècle qui sont devenus des culottes (pants). Les quatre premiers chapitres de cet ouvrage sont un panorama chronologique de l’évolution des sous-vêtements masculins, traitant également des changements stylistiques des vêtements, et abordent les problèmes comme les innovations technologiques, l’identité masculine, le genre et la sexualité. Le cinquième chapitre offre une approche similaire tout en étant consacré à l’évolution de la bonneterie et des chaussettes homme. Le dernier chapitre adopte une approche thématique et s’attarde sur la publicité et les façons dont sont promus et vendus les sous-vêtements masculins depuis le début du XXe siècle.