LE MUSÉE DE L’ERMITAGE COLLECTION VAN DYCK

Aujourd’hui encore, le nom du peintre flamand Antoine Van Dyck (1599-1641), symbolise le raffinement et l’élégance. Cependant, sa plus grande contribution à l’art réside sans doute dans la nouvelle manière d’aborder le modèle et d’y discerner les traits individuels, qui ne peuvent être découverts qu’au contact personnel. C’est à son talent de portraitiste hors du commun que Van Dyck doit l’immense succès qu’il remporta auprès de ses contemporains : durant toute sa vie, il se consacra essentiellement au portrait à l’huile et, vers la fin, au portrait gravé. C’est également comme portraitiste qu’il fut mondialement reconnu et qu’il entra dans l’histoire de l’art européen.

Cependant, Van Dyck est également connu pour des tableaux peints dans d’autres genres : compositions historiques, allégories et paysages. Il contribua également à résoudre de nombreux problèmes artistiques. Et si dans ses compositions religieuses ou mythologiques transparaît souvent son regard scrutateur de portraitiste, ses portraits par contre, révèlent des traits typiques de la peinture historique. Les portraits réalisés par Van Dyck sont extrêmement variés. Ses possibilités dans le genre semblent illimitées et s’étendent du rapide croquis saisi sur le vif ou dessiné de mémoire à l’étude appliquée, d’un portrait intime au portrait-tableau monumental ou même parfois, au facétieux « portrait historié » représentant le modèle soit en héros de la mythologie antique, soit en personnage d’une pièce contemporaine. Les portraits créés par l’artiste perpétuent l’image des contemporains du peintre et reflètent l’idéal de l’homme de ce temps.

Van Dyck vécut à l’époque d’une nouvelle étape de l’histoire de l’art du petit Etat des Pays-Bas du Sud qui, d’après le nom de sa plus grande province, est souvent appelé Flandre. L’école nationale de peinture se trouvait alors en plein épanouissement. La révolution néerlandaise, qui secoua le pays à la fin du XVIe siècle, eut pour résultat la sécession des provinces du Nord (la Hollande) devenues la République indépendante des Provinces-Unies, alors que les provinces du Sud restèrent sous la domination de l’Espagne. L’art néerlandais se divisa alors en deux écoles nationales indépendantes, l’une hollandaise, l’autre flamande.

Les principales réalisations de l’art flamand du XVIIe siècle sont liées au nom de Rubens, ainsi qu’à ceux de ses plus proches disciples, parmi lesquels Van Dyck, sans aucun doute, occupe la première place. Pierre Paul Rubens (1577-1640) est le maître incontesté de l’école flamande. C’est lui qui orienta la peinture flamande vers de nouvelles voies, créant un art humaniste étroitement lié à son temps, dynamique et passionné. Van Dyck adapta à sa manière les innovations de Rubens pour atteindre des sommets inégalés dans l’art du portrait. Le Musée de l’Ermitage permet de se faire une idée quasi exhaustive de l’œuvre de Van Dyck portraitiste. C’est à cette collection qu’est principalement consacré le présent ouvrage ; il est complété par des tableaux du maître conservés dans d’autres musées. La collection d’œuvres de Van Dyck de l’Ermitage, qui embrassent toutes les périodes de création de l’artiste (la première et la seconde périodes anversoises ainsi que la période italienne et la période anglaise), constitue une partie importante du département de la peinture flamande. Cette dernière est en outre présentée par les plus grands peintres flamands, tels que Rubens, Jordaens et Snyders.

1. Philadelphia et Elisabeth Wharton, 1640. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

2. Charles I et la reine Henriette-Marie avec Charles, Prince de Galles et la princesse Marie, 1632. Collection de Sa Majesté la reine Elisabeth II.

3. Autoportrait, années 1630. Galerie des Offices, Florence.

L’histoire de cette collection (de la peinture flamande) remonte au XVIIIe siècle. Les œuvres de peintres flamands étaient alors fort demandées en Europe occidentale, surtout à Paris, principal marché artistique à l’époque. C’est essentiellement de Paris que proviennent les tableaux de l’Ermitage qui furent acquis pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. La collection de l’Ermitage, qui se forma à l’époque du siècle des Lumières, fut rassemblée en grande partie grâce aux soins de l’impératrice de Russie Catherine II (1762-1796). En 1764, celle-ci acquit la collection du marchand berlinois Johan Ernst Gotzkowski qui, en échange de sa dette à la Russie, proposa à l’impératrice les tableaux qu’il avait rassemblés. L’affaire fut conclue par l’intermédiaire de l’ambassadeur de Russie à Berlin, V. Dolgorouki. Depuis, l’an 1764 est considéré comme celui de la création de l’Ermitage. Catherine se mit à acheter des tableaux avec passion. Elle sut attirer, en qualité d’intermédiaires et d’experts, des connaisseurs d’art aussi éminents que furent le célèbre philosophe français Denis Diderot, le sculpteur Etienne-Maurice Falconet et l’encyclopédiste Melchior Grimm ainsi que Dimitri Galitsyne, ambassadeur de Russie à Paris, puis à La Haye. Membre honoraire de l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg, ami de Diderot et de Falconet, celui-ci fut chargé par l’impératrice de l’achat de tableaux pour la collection grandissante de l’Ermitage. En étroit contact avec Diderot et Grimm ainsi qu’avec le collectionneur genevois François Tronchin, lui-même en relation avec les cercles artistiques parisiens, Galitsyne s’efforçait de ne laisser échapper aucune occasion de réaliser une acquisition intéressante, aussi bien dans les ventes aux enchères (à Paris, La Haye ou Amsterdam) que par des négociations directes avec les possesseurs (ce qui fut le cas de l’achat, avant 1794, par exemple, d’un des meilleurs tableaux de l’Ermitage, le Portrait de famille de Van Dyck ; selon d’autres sources[1], ce portrait fut cédé à l’impératrice par Madame Groenbloedt, de Bruxelles, qui l’avait acquis en 1770 à la vente de la collection Lalive de Jully à Paris).

Pour ce qui est des tableaux de Van Dyck, ils entrèrent à l’Ermitage à la suite de l’achat par Catherine II de deux collections célèbres en Europe au XVIIIe siècle : la collection Crozat[2], qui fut acquise en France en 1772, et la collection de Lord Walpole, qui fut achetée en Angleterre en 1779[3]. La première comptait onze œuvres de Van Dyck, la seconde quatorze.

En 1783, toujours en France, fut également achetée la célèbre collection de tableaux du comte Baudouin, dont cinq portraits de Van Dyck[4]. Deux autres œuvres de Van Dyck, qui font partie de la collection de l’Ermitage, remontent également à des collections françaises, quoique moins célèbres, mais leur origine exacte n’est pas connue[5]. Enfin, deux portraits n’entrèrent au musée qu’en 1932 ayant jadis fait partie de la collection du comte Stroganov, qui les avait achetés lors de son séjour à Paris entre 1769 et 1779[6]. Si c’est aux collections françaises que l’Ermitage est redevable de sa richesse en tableaux de Van Dyck datant des deux périodes anversoises et de la période italienne, c’est à la galerie Walpole que le musée doit presque tous les tableaux de la période anglaise, dont les portraits de la famille Wharton, que Robert Walpole avait acquis vers 1725 à Winchendon auprès du dernier descendant de cette famille. Il est évident que l’ensemble de tableaux de l’Ermitage reflète les goûts des collectionneurs du XVIIIe siècle. Or, à cette époque, on appréciait Van Dyck surtout pour ses portraits. La qualité picturale des collections, qui tirent leur origine des œuvres de Van Dyck entrées au Musée de l’Ermitage, en particulier celles de la collection Crozat, était particulièrement élevée. Il suffit de signaler qu’à Paris, au milieu du XVIIIe siècle, il n’y avait pas de collection comparable à celle de Crozat. Ce n’est pas par hasard si Pierre-Jean Mariette, collectionneur, graveur, éditeur et fin connaisseur de l’art, analysa l’œuvre de Van Dyck en se basant essentiellement sur les tableaux de la collection Crozat, qui comptait des chefs-d’œuvre aussi célèbres que l’Autoportrait, le portrait d’Everhard Jabach, le portrait de Marc-Antoine Lumagne ou le Portrait d’homme (qui fut longtemps considéré comme celui du médecin anversois Lazare Maharkyzus).

4. Alexei Antropov, Catherine la Grande, 1762. Musée d’Art et d’Histoire, Sergiyev-Posad, région de Moscou.

5. Isabella Brant, vers 1621. National Gallery of Art, Washington.

6. Portrait de famille, 1621. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

7. Dames de la cour, la comtesse Morton et Anne Kirke, fin des années 1630. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

En Angleterre, les peintres de même que les amateurs d’art, voyaient avant tout en Van Dyck un brillant portraitiste : « Van Dyck est le plus grand portraitiste qui ait jamais existé », disait le célèbre peintre anglais Joshua Reynolds, qui fut le premier président de l’Académie royale des arts de Londres. Le peintre et graveur William Hogarth lui faisait écho, estimant dans son Analyse de la beauté (1753), que le peintre flamand « sous plusieurs rapports » est l’un des « meilleurs portraitistes que nous connaissions »[7]. Il ne faut donc pas s’étonner que les collections anglaises contiennent presque uniquement des portraits de Van Dyck. La collection Walpole, par exemple, ne comptait qu’une seule composition religieuse, Le Repos pendant la fuite en Egypte (la Madone aux perdrix), chef-d’œuvre de la seconde période anversoise.

Au cours des années, plusieurs œuvres de Van Dyck quittèrent l’Ermitage pour des raisons diverses. Ainsi dans les années 1930, deux œuvres de l’ancienne collection Walpole furent vendues : le portrait de Philip, quatrième Lord Wharton et le portrait d’Isabella Brant, peints avant son départ pour l’Italie. Ce dernier tableau fut longtemps attribué à Rubens. En fait, c’est l’une des toutes premières œuvres de Van Dyck. Il en fut de même pour le Portrait de jeune femme (considéré comme pendant du Portrait de jeune homme) et pour le portrait de Suzanna Fourment et de sa fille (ces quatre portraits se trouvent aujourd’hui à Washington, à la National Gallery of Art).

En 1924 et 1930, furent envoyés à Moscou, et sont désormais conservés au Musée des Beaux-Arts Pouchkine, le portrait de Jan Van den Wouwer ainsi que les portraits d’Adriaen Stevens et de Marie Bosshart, son épouse. Ces trois œuvres, de la seconde période anversoise, entrèrent à l’Ermitage en 1783 en provenance de la collection du comte Baudouin à Paris.

Les tableaux de Van Dyck, qui se trouvent actuellement à l’Ermitage, illustrent tous les types de portraits auxquels le peintre se consacra tout au long de sa vie, depuis les portraits officiels jusqu’à ceux qu’il peignit pour lui-même et pour ses proches. Seuls sont absents les grands portraits que le maître réalisa au cours de son séjour en Italie. La collection riche et variée de l’Ermitage permet non seulement de retracer l’itinéraire créateur de l’artiste, mais aussi de constater la virtuosité avec laquelle il pratiquait l’art du portrait, la variété de ses moyens d’expression et de ses procédés techniques ainsi que la diversité de ses compositions, en fonction des problèmes qui s’étaient posés à son époque.